Plusieurs raisons militent pour la prolongation.
• Des raisons politiciennes : dans l'hypothèse du Traité de Nice, il n'y a que deux postes à répartir : le président de la Commission et le Haut représentant (pas de président du Conseil européen). Ce qui contrarie les plans du président actuel Barroso.
• Des raisons politiques. Avec le Traité de Nice, il faut réduire tout de suite la Commission d'au moins un commissaire. Ce qui pose des problèmes à plusieurs Etats membres.
• Des raisons pratiques. Si on se fie strictement aux règles du traité, un traité de Lisbonne entre en vigueur au 1er jour du mois suivant le dépôt du dernier instrument de ratification. Et la nouvelle Commission doit être en place au 1er novembre. Autrement dit avec un référendum irlandais, en octobre, c'est mission impossible. Il faudrait mettre en place une Commission - versus Nice - donc réduite. Puis renommer ensuite une Commission à 27 Etats membres en janvier par exemple. Ce qui est un peu acabradabrantesque...
Peut-on prolonger la Commission ?
A lire le traité, c'est clair : la Commission est nommée pour un mandat de 5 ans. Et aucune disposition n'est prévue pour la prolonger même au cas où les chefs d'Etat et de gouvernement n'arrivent pas à se mettre d'accord. C'est d'ailleurs bien l'objectif : ne rien prévoir incite sacrément tout le monde (Chefs d'Etat et Parlement) à trouver un accord. Prévoir une solution temporaire serait inciter au "provisoire qui dure".
Et l'article 215 le permet-il. C'est un argument souvent repris. Encore faut-il lire complètement cet article et le replacer dans son contexte. Ainsi l'article 215 prévoit bien que "les membres de la Commission restent en fonctions jusqu’à ce qu’il soit pourvu à leur remplacement ou jusqu’à ce que le Conseil décide qu’il n’y a pas lieu à remplacement." Mais cette disposition vient en 4e § d'un article destiné à régir les cas d'interruption de fonction en cours de mandat. "Hormis les cas de renouvellements réguliers et les décès", c'est-à-dire essentiellement la démission volontaire. Ce qui est logique. Y voir une possibilité de prolonger la Commission est, à mon avis, une erreur d'interprétation. Toute autre interprétation serait absurde, puisqu'en raisonnant en parallèle (le renouvellement régulier de la Commission étant placé à égalité avec le décès), elle obligerait le commissaire décédé à "rester en fonction jusqu'à que le Conseil en décide autrement..." !
Le danger de la prolongation hors des 5 ans du mandat. Une Commission prolongée sans mandat du Conseil européen et en illégalité du Traité risquerait de voir ces décisions annulées par la Cour de justice. Bien sûr aucun Etat membre ne pousserait le pion jusqu'à aller à la Cour de justice. Mais on peut être sûr qu'à la première décision individuelle (anti dumping, amende concurrence, non instruction d'une aide d'Etat, concours, nomination...), un avocat aurait beau jeu d'invoquer devant la Cour le défaut de composition de la Commission. Et personne n'est vraiment sûr du résultat devant les juges. L'épée de Damoclès qui peserait ainsi sur cette Commission est bien trop dangereux pour courir le risque.
Donc s'il y a prolongation, elle ne peut être que très limitée dans le temps (quelques semaines) et la Commission en est réduite à expédier les affaires courantes.
Les précédents historiques.
Remontons le temps et regardons ce qui s'est passé. Mais aucun antécédent historique ne peut justifier cette solution d'une prolongation limitée dans le temps et pour les affaires courantes. Au contraire il l'accrédite.
• En 1991, la Commission Delors n'a pas été prolongée. C'est une nouvelle Commission qui a été nommée. Mais de façon intérimaire : pour une durée limitée de 2 ans. Une prolongation nécessaire... pour se caler avec les élections européennes et le nouveau mandat de 5 ans (et non plus 4 ans). Dans cette commission annoncée le 22 décembre 1992, 7 commissaires étaient nouveaux les 17 présents à l'époque (2 commissaires par "grand" Etat, 1 pour les "petits".
• En 1993, la Commission a effectivement été prolongée, mais de 15 jours ! Du 6 janvier au 22 janvier exactement. Le temps que la nouvelle Commission soit en place, très exactement. Ce pour des raisons tout à fait objectives. 1) A cause du retard pris pour nommer la Commission : au Sommet de Corfou, les Britanniques refusent JL Dehaene (le Premier ministre Belge), en juillet sort le nom de Santer. Le Parlement européen montre sa mauvaise humeur, et fait trainer les choses. Il n'est pas content de la répartition des portefeuilles. Et envoie notamment bouler quelques commissaires. Le portefeuille de l'égalité sera ainsi retiré au commissaire Padraig Flynn qui avait fait des déclarations un peu à l'emporte pièce sur le rôle des femmes (l'histoire s'est un peu répété avec Buttiglione). Les trois nouveaux Etats membres n'ont pas encore ratifé le traité. Et le Parlement exige que les nouveaux députés participent au vote (le vote prévu en décembre est reporté en janvier). Bref, la Commission est la pour expedier les affaires courantes. Et rien de plus. La présentation de directives sont renvoyés à plus tard (Delors l'a expliqué personnellement à un certain ministre de la Communication nommé Nicolas Sarkozy ! au sujet de la directive "télévision sans frontières).
• En 2004, rebelote, la Commission Prodi - prévue pour terminer le 31 octobre, continue jusqu'au 22 novembre - est obligée de jouer les prolongations, mais là encore, pour des raisons très objectives. Et encore là a cause du satané Parlement qui a refusé de confier le portefeuille "justice intérieur" au conservateur italien Buttiglione après des déclarations sur les homosexuels. L'actuel président de la Commission José-Manuel Barroso en a gardé un souvenir cuisant, lui qui s'était entêté à vouloir garder l'Italien Buttiglione, et n'avait pas compris que le Parlement européen de 2004 n'était plus tout à fait celui son enfance.
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