
L'objectif officiel est de diminuer les dépenses. L’Airbus A400M est « si cher » qu’il est préférable d’acheter le Lockheed C130J (Super Hercules) explique alors un porte-parole du Ministère de la Défense. « Les concurrents américains nous ont présenté une offre qui permet d’acheter le double des avions ». On peut avoir un doute sur cette approche comptable. Car, en se retirant du programme, le Portugal renonce aussi aux contreparties pour sa petite industrie aéronautique (dans le consortium Airbus A400M, les Portugais devaient concevoir le design du fuselage). Ce qu'il gagne en gain budgétaire, il le perd en perte industrielle. De plus, cette réorientation s'accompagne d'achats de matériels, comme des sous-marins, dont l'utilité immédiate paraît futile si l'objectif est de redresser les comptes.
Les raisons de ce retrait sont plutôt très politiques. Il s'agit surtout d'un geste permettant de montrer toute la fidélité du nouveau gouvernement portugais à l'allié américain. Nous sommes alors en pleine crise irakienne qui provoque un schisme en Europe - non pas entre la vieille Europe et les nouveaux Etats membres, ni entre les modernes et les conservateurs comme on l'a souvent dit, à tort -, mais entre les Atlantistes - adeptes d'une politique d'une grande puissance - et les partisans d'une politique multinationale onusienne et européenne (1). Dans les pays qui produisent l'A400M la division est nette : l'Espagne et le Royaume-Uni se sont rangés dans le camp américain - rejoints par l'Italie et le Portugal - tandis que la France, l’Allemagne, la Belgique et même la Turquie ont marqué leurs réserves à cette intervention (lire Louis Michel à l'époque). Les Américains ont d'ailleurs fait pression sur les Italiens (avec succès - dès l'arrivée de Berlusconi au pouvoir, l'Italie se retire) comme sur les Britanniques pour qu'ils se retirent du programme (les Britanniques résisteront, eux !). Ils tentent aussi de faire pression par tous moyens sur les Allemands et les Français. Dans les motivations américaines, il n'y a, bien sûr, pas uniquement que des raisons politiques mais bien entendu industrielles. C'est l'occasion pour certains proches de l'administration Bush... et de Lockheed d'éliminer un concurrent notable.
La décision portugaise de retrait du programme A400 est prise, en fait, dès les premiers jours du gouvernement de coalition des droites (PSD - CSD) en mai 2002. Le ministre portugais de la défense, Paulo Portas (un des leaders du CSD) est aussi un atlantiste invétéré. Il est assez proche de Bruce P. Jackson, lobbyiste américain très actif sur l'affaire irakienne, proche de Dick Cheney (2)... et vice-président de Lockheed-Martin. A la Wehrkunde (la conférence de la sécurité) de Münich début février 2003, les Etats-Unis cherchent à isoler les Allemands et les Français. A la manoeuvre : le portugais Paulo Portas qui apostrophe le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, dans les couloirs évoquant Münich, et les dangers du pacifisme "dangereux en 1938, dangereux dans les années 1980" et... Bruce Jackson qui explique doctement aux journalistes combien les Franco-Allemands sont isolés face aux 18 Etats qui ont signé pour une intervention en Irak (3).
Alors... l'abandon de l'Airbus A400M par l'équipe Barroso-Porta : une simple motivation budgétaire, personne n'y croit vraiment... Mais pour Airbus, l'annulation des commandes italienne et portugaise (19 avions) est un coup dur et, même une perte sèche qu'on peut chiffrer à un peu plus de 2 milliards d'euros ! (ce qui équivaut aux pertes actuelles !).
(1) Parmi les "nouveaux" : Chypre, Malte et la république Tchèque n'ont pas signé la lettre (le président Havel n'a en effet signé qu'à titre personnel, quelques jours avant son départ du gouvernement, la lettre des 10). La Suède, la Finlande, l'Autriche (entrés dans l'UE en 1995) sont plus catégoriques et pour la poursuite des inspections. Parmi les "anciens", l'Italie, l'Espagne, le Royaume-Uni, le Danemark sont pour le déclenchement de l'intervention US. On compte dans les deux camps des gouvernements socio-démocrates (Royaume-Uni), voire même ex-communistes (Pologne), et libéraux ou chrétiens-démocrates.
(2) Ancien agent du renseignement militaire (jusqu'à 1990), il fut aussi actif en Bosnie et Croatie durant la guerre civile. Il travailla pour Lehman Brothers. Puis il oeuvra ensuite pour l'intégation à l'OTAN des pays d'Europe de l'Est et des Balkans à la tête du « US Committee on NATO » jusqu’à 2002. Il convainca notamment la Pologne de s'équiper du F16. Il réitéra ce type d'action de lobbying politique avec le « Committee of the Liberation of Iraq », cercle néoconservateur qui milita pour l'intervention en Irak et fut notamment sinon l'inspirateur des lettres "des 8" et "des 10". Pour un aperçu plus complet du personnage. Sacré BPJ
(3) Lire "Allies at War" de Phillip H. Gordon et Jeremy Shapiro
(Photo : Commission européenne)