La capacité militaire de l’UE démontrée
Au-delà, l’UE a prouvé qu’elle était capable de mettre sur pied une mission militaire d’une ampleur nouvelle pour elle : près de 4000 hommes projetés à plus de 5000 Kms, sur un terrain aride, difficile, où le manque d’eau et de nourriture se combinent avec l’hostilité des éléments et la violence de l’homme. Certains think-tanks basés aux Etats-Unis, à la réflexion sans doute profonde mais un peu orientée, et d'autres cassandres pariaient sur un échec de la mission. Désolé. Il n’en a été rien. Malgré toutes les difficultés prévisibles ou survenues – l’attaque des rebelles du 1er février notamment, les hélicoptères en nombre insuffisant également – la mission a pu se mettre sur pied. Les relèves ont bien été effectuées en temps et heure. Les unités multinationales se sont bien accoutumées à travailler ensemble – même si quelque petits différents sont survenus de temps en temps (plutôt normal pour une opération de cette ampleur). En tout ce sont près de 10 000 militaires qui se sont ainsi relayé tout au long de cette année.
La mission a échappé à quatre dangers et je lui décernerai donc 4 étoiles.
* Tout d’abord le fait même que la mission a existé avec aussi peu de "grands pays fondateurs" participants. Qui aurait pu imaginer au début de la politique de défense – c’est-à-dire il y a quelques années à peine - que l’Europe pourrait conduire une opération militaire avec un seul des pays fondateurs de l’Europe de la défense à bord (la France). Ni le Royaume-Uni (qui a envoyé quelques hommes de renseignement), ni l’Allemagne n’ont participé à l’opération. Et l’Espagne et l’Italie n’ont apporté qu’une contribution – certes utile — l'hôpital de rôle 2 pour les Italiens, des rotations d'avions pour les Espagnols – mais somme toute modeste. De fait, cette opération n’a été possible qu’avec la participation des pays neutres ou non membres de l’OTAN ou récemment arrivés dans l’Union européenne. Quelle belle preuve d’intégration. Notons ainsi la participation notable de l’Irlande, de la Pologne, de la Suède et de la Finlande. C'est la 1ere étoile. Et aussi l'assentiment des 27 Etats membres qui, unanimes, même s'ils ne participaient ont soutenu la mission (et l'ont financé, un peu, par l'intermédiaire du mécanisme Athena).
** Ensuite, le fait de surmonter les difficultés logistiques. Et elles ne manquaient pas, à commencer par le transport des troupes et matériels, par bateau, route et air. Le défi était, en effet, de pouvoir amener tout le matériel sur place, de construire une sorte de petite ville, alors qu’il y a une pénurie d’avions dans tous les pays européens, que ceux qui restent sont souvent poussifs (les mécaniciens d’Eufor n’ont pas chômé pour réparer les pannes) ou pris sur d’autres théâtres d’opération (Afghanistan, l'affaire du Ponant a dérouté un ou deux avions…). Alors. Chacun s’y est mis, prêtant qui un avion pour 10 jours, qui pour 3 rotations. Et on ne saluera jamais assez le rôle de tous ceux qui ont assuré cette logistique. Et qui vont travailler encore jusqu’au bout pour tout rapatrier. 2e étoile.
*** N’oublions pas l’autre défi, celui de l’impartialité. Il était loin d’être gagné. Au début de la mission, les critiques étaient nombreuses et pouvaient trouver un certain fondement. De tout temps, le Tchad a, en effet, été considéré comme une arrière cour française. Pour la France libre, c'est même une terre mythique. La France, qui a été un des initiateurs (avec le Royaume-Uni) et principaux contributeurs de l’opération, entendait aussi honorer son accord de coopération militaire intense avec le gouvernement de N’Djamena. La présence d’un fort contingent français dans Eufor, comme le concours apportés par les autres soldats français présents au titre de la mission militaire Epervier, pouvaient être synonymes d’une confusion. Le moindre geste, la moindre photo pouvaient tout faire déraper. L’attaque des rebelles et la contre-attaque de l’armée tchadienne a, par exemple, placé les soldats et corps médicaux d’Eufor devant un dilemme : que faire non seulement durant l’attaque – ce qui est somme toute solutionnable – mais surtout après l’attaque, en cas d’afflux de blessés ? Le médecin français d’Epervier – tenu à un accord d’assistance avec les militaires Tchadiens – pouvait-il requérir et utiliser les installations d’Eufor pour soigner des blessés graves de l’armée tchadienne ? La solution s’est faite avec pragmatisme et délicatesse. Le serment d’Hippocrate aidant, les cas ont été pris en charge simplement là où la politique aurait été bien embarrassée (Heureusement qu'aucune photo n’a circulé comme celle de ce médecin italien à l’embarquement d’un avion français rapatriant les militaires tchadiens blessés sur l’hôpital de N’Djamena). Un an après, il est clair dans tous les esprits que cette mission avait sa chaîne de commandement et d’action autonome, son objectif propre et son autonomie d’action, et personne ne remet en cause la double casquette d'un pays membre (c'était la France au Tchad, ce pourrait être la Roumanie en Moldavie, ou la République Tchèque en Israël). L'UE y a gagné une étoile. Sa troisième.
**** Enfin saluons la tactique politique de l'Europe dans laquelle cette mission s'est déroulée. Vis-à-vis du Soudan comme du Tchad dont les rapports sont plus qu'aigre doux. Les Européens ont su passer sous silence certains incidents comme celui des tirs sur les véhicules belges et ne pas surenchérir à ce qui pouvait passer soit pour une "erreur", soit une tentative de provocation. Comment ne pas mentionner également que cette mission est une des premières depuis ... où des troupes russes sont sous un commandement européen. Quel symbole aussi de voir des hélicoptères à étoile rouge voisiner avec ceux des Polonais. Et cependant cela a bien failli capoter. Il faut voir que les négociations de cette présence qui avaient démarré avant l’été se sont nouées au moment du conflit russo – géorgien. Alors que les Etats-Unis et l’OTAN mènent une politique – au moins grand public de boycott russe (les chefs d'Etat major russe et américain se rencontrent discrètement en Finlande mais c'est une autre histoire), les Européens ne coupent pas les ponts avec la Russie et, au contraire, l’associent à leur opération. Joli tour de force. Avec un beau doublé même. Puisqu’à quelques milliers de kilomètres de là, quelques jours après, des policiers américains se joignent à la mission Eulex au Kosovo – alors que la Russie condamnait de toutes ses forces (au moins publiquement) le déploiement d’une force européenne dans cette région qu’elle considère partie intégrante de la Serbie. L’Europe y a gagné la capacité d’agréger à ses missions les forces mondiales. 4e étoile.
Au sortir de cette mission, somme toute modeste en durée et en investissement humain, l’Europe y a gagné ses 4 étoiles de puissance moyenne, en capacité d’intervenir sur tous les terrains difficiles. Sans trop de casse (*). On déplore (seulement) un mort, le sergent Paulin, qui faisait partie des "forces d'entrée en premier", décédé en tout début d'opération. Hommage lui soit rendu.