Une présidence à toute allure...
Rappelons-nous, cela démarre en fanfare.
- avec un slogan : "Evrope to osladime", qui peut aussi bien vouloir dire, selon mes confrères tchèques, "Nous allons sucrer (ou adoucir) les choses pour l’Europe" que "Nous allons en faire baver à l’Europe" (lire sur radio Prague) ;
- une exposition Entropa au goût douteux et qui fut finalement décrochée avant la fin de la présidence... une première! - son auteur David Cerny s'estimant en décalage avec le nouveau gouvernement ;
- une carte dressée dans l'enceinte du Conseil de l'Union européenne qui revisite l'histoire, montrant l'Europe séparée par un fil barbelé mais incluant dans l'Est de l'Europe, la Slovénie (ce qui constitue une erreur politique et... historique, la Yougoslavie ayant été un pays non aligné avec une frontière franchissable) ;
- un président, Vaclav Klaus qui refuse d'accrocher le drapeau européen sur sa résidence, a multiplié les déclarations provocatrices et les chausses-trappes à son propre gouvernement (plusieurs députés proches de lui voteront la censure de Topolanek) ;
- un gouvernement très sûr de lui-même qui entend donner des leçons non seulement à son opposition (avec qui il a refusé de conclure un moratoire durant la présidence) mais aussi avec les autres Etats membres ; ... le ton est déjà donné !
Et cela continue ensuite :
- avec des fuites, dans la presse, de conversations normalement secrètes, entre les officiels tchèque et français ou européens qui embarrassent (lire "la présidence fuit comme un panier percé") ;
- par un mélodrame autour des opérations militaires tchèques à l'étranger, l'opposition obligeant le gouvernement à "manger son chapeau" sur l'augmentation de son contingent en Afghanistan, selon un schéma assez prémonitoire de la suite (lire les "Tchèques pas d'accord sur les missions extérieures" et les "missions sauvées in extremis") ;
- avec des prises de position sur Gaza, très partiales (lire une "défensive, une erreur chargée d'histoire"; la présidence n'a pas su s'extraire de ses positions nationales, pour prendre immédiatement le parti-pris d'Israël. Ce qui l'a mis hors circuit pour le reste de la négociation ;
- avec la discussion autour du radar américain qui provoque des querelles constantes en interne, alors que le gouvernement américain Obama a décidé doucement d'abandonner le projet (lire "Pas de radar, le Traité de Lisbonne et le gouvernement tanguent") ;
- avec des déclarations à l'emporte-pièce sur la crise économique - sur l'air de ce sont les pays de la "Vieille Europe" qui sont touchés, le Premier ministre tchèque Topolanek met en garde contre les remèdes "étatiques paternalistes", taxant même le plan de relance américain de « voie vers l’enfer » ; ... le summum est atteint !
Pour finir en déroute :
- un gouvernement renversé à une ou deux voix de majorité (lire bye bye Topolanek) et remplacé par un gouvernement technique ;
- sans oublier la photo qui a fait le tour d'Europe, d'un Premier ministre photographié en tenue d'Adam dans une soirée très "mondaine" et "déshabillée" de son homologue italien, Silvio Berlusconi.
NB : Paradoxalement depuis que la présidence est exercée par un "technicien", président de l'Office des statistiques, Jan Fischer, la présidence n'a pas perdu en force et gagné en crédibilité. En tout cas, sa modestie (et sa qualité) ont été louées par tous ses partenaires européens.
Un échec sur le plan des idées et des concepts...
En manquant d'humilité voire l'arrogance (encore plus que les Français ou les Britanniques, -:), c'est tout dire...) et en ne respectant pas la neutralité minimale d'une présidence (confondant ses positions nationales et le nécessaire arbitrage entre les différentes opinions dans les Etats membres), la présidence tchèque de Topolanek a raté l'histoire et a, surtout, échoué à convaincre que ses idées, ses préceptes étaient les bons. Une "bonne" présidence se jauge aussi par les projets et idées qu'un pays arrive à infuser aux autres. Là rien... Au contraire, même, le gouvernement Tchèque a fait progressé les états d'esprit à l'inverse. Sur au moins trois points.
1° Une "bonne bureaucratie" bruxelloise a quand même du bon ! Si la présidence tchèque peut s'enorgueillir de quelques accords - notamment autour des concessions faites à l'Irlande ou en matière de climat - c'est en partie (ou surtout) grâce à tous ces fonctionnaires et "eurocrates" qui ont fait leur travail. Ou aux homologues des Etats membres qui ont parfois suppléé un ambassadeur tchèque qui avait choisi tout bonnement de ne pas être là à une réunion. On m'a rapporté ainsi que plusieurs séances du COPS (le Comité politique et de sécurité de l'UE) ont été présidées au pied levé par l'ambassadeur suédois ou espagnol, leur homologue tchèque n'ayant pas jugé bon de venir ! La présidence tchèque, étant aux abonnés absents, n'étant qu'une illusion, une affaire d'optique, ce sont les "Bruxellois" qui ont assuré l'intendance. Le summum a été atteint lors de la conférence de presse lors de la conférence internationale sur la Somalie - où tout bonnement le siège de la présidence de l'UE est restée vide (l'UE était alors représentée par Javier Solana).
2° Le grand projet "libéral" des Tchèques a achoppé. Sur le fond, le gouvernement tchèque qui voulait faire de l' "Europe sans frontières", non seulement un slogan, mais un thème fort de sa présidence, on peut noter qu'aucune avancée n'a été engrangée. Au contraire ! Six mois après, la tentation du repli sur soi et du protectionnisme est plus marquée que jamais, dans un contexte où la crise économique et financière donne le ton. L'Allemagne et l'Autriche n'ont pas plus ouvert leurs frontières aux travailleurs des nouveaux Etats membres (ils bénéficient d'une période de transition) qu'auparavant. La présidence tchèque a même refusé de porter la demande hongroise d'un plan de relance, spécifique aux pays de l'Est. Même si elle pouvait être maladroite, cette idée paraissait justifiée et méritait au moins d'être étudiée, relayée et travaillée. On voit aujourd'hui, a posteriori, le manque d'un tel plan alors que plusieurs pays sont en faillite virtuelle (Hongrie mais aussi Lettonie, voire l'ensemble des pays baltes) et l'effet domino plane sur les pays (Suède, Autriche, Allemagne) dont les banques sont "très" engagées dans ces régions.
3° La structure institutionnelle du Traité de Lisbonne est nécessaire. Les "erreurs" de la présidence ont démontré la nécessité d'avoir un ministre des Affaires étrangères de l'UE et un président permanents du Conseil de l'Union européenne.
Ce n'est pas non plus la catastrophe annoncée...
Dire que cette présidence a été une catastrophe totale est sans doute faire injure aux erreurs des présidences passées qui avaient marqué, à l'époque, les esprits. Deux exemples en mémoire. La présidence italienne qui avait une manière, disons "très personnelle", de conduire les négociations européennes. Notamment la dernière séance de négociation sur le traité constitutionnel, au sommet de décembre 2003, a été si épique qu'il a fallu "plusieurs jours" à la présidence suivante (Irlande) pour remettre la main sur les prises de position. "C'est bien simple." m'avait expliqué alors un diplomate "Berlusconi a promis aux uns et aux autres des choses. Mais on n'a aucune trace écrite du contenu des discussions. Ou alors des propos contradictoires. C'est un beau... bordel". Quant à la précédente présidence suédoise (en 2001), qui n'avait pas vraiment organisé le sommet de Göteborg, et n'avait pas prévu l'irruption d'anti-mondialisation violents, elle s'était totalement laissée débordée jusqu'à utiliser des balles réelles pour réprimer la manifestation...
En matière d'Europe de la défense, on ne peut pas dire que les sujets aient grandement avancé. Mais on ne peut pas dire non plus qu'ils aient reculé ou que les Tchèques aient mis des bâtons dans les roues aux projets en cours. Ils avaient d'ailleurs annoncé que ce n'était pas une priorité. Ils ont tenu parole... Ce faisant, la poursuite de l'opération anti-pirates Atalanta a été acquise ; le démontage de l'opération Eufor Tchad s'est fait sans heurt (1) et la solution pour la présence en Bosnie a été reportée à plus tard (merci les Suédois). Quelques projets industriels ont poursuivi leur chemin : la formation des pilotes d'hélicoptères, le transfert du projet d'hélicoptère lourd franco-allemand à l'agence européenne de la défense. Mais sans la présidence, cela aurait été identique. La présidence a été "honnête", "modeste".... Tout le contraire de ce qui s'est passé dans d'autres domaines.
Pour télécharger le bilan dressé par la présidence tchèque.
Quelques bons souvenirs... et une leçon
Ce que je retiendrai de la présidence Tchèque, c'est l'humour à toute épreuve de ses citoyens qui, malgré les affres de leur gouvernement, savaient passer l'épreuve. La gentillesse de ses habitants. Et la disponibilité de ses porte-paroles (qui n'avaient pas vraiment la tâche facile).
Ou, encore, la street party - ce podium de musique rock et électro dressé dans la rue de la Représentation permanente, au mois de juin, avec à la clé, les stands des régions tchèques avec forces bière (naturellement), petites friandises, le tout agrémenté de jolies blondes et brunes.
Enfin, c'est un des seuls gouvernements qui a hissé un rocker au poste de ministre des droits de l'homme - qui a réussi d'ailleurs à perdurer après la chute du gouvernement (c'est le seul d'ailleurs !). Assurément cela méritait six mois de présidence.
Au final, maintenant, après la présidence slovène - qui sans atteindre le summum tchèque - avait été plutôt très terne, les deux prochains "nouveaux Etats membres" qui vont prendre les rênes de l'UE : la Hongrie en 2010 et la Pologne en 2011 ont un sacré challenge devant eux : nous surprendre, positivement, comme l'avaient marqué leurs homologues du Portugal en 1992, d'Autriche en 1998, et de Finlande en 1999 qui avaient surpris par leur "efficacité" et leur dynamisme.
(1) A l'exception notable d'une tuerie interne à Eufor, le 7 avril 2009 (mais la présidence n'y est pour rien). Un légionnaire du 2e régiment étranger d'infanterie de Nîmes (qui participait à l'Eufor) a "pété les plombs" à Abéché et tué 4 personnes : deux soldats de son régiment et un soldat togolais (Minurcat) au Camp des étoiles, ainsi qu'un paysan tchadien (lors de sa fuite).
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