
Une livraison sous pavillon national. L'UE n'a pas d'accord de transfert avec la Somalie ou le Puntland. Et s'y refuse pour l'instant, à la fois pour des raisons juridiques et politiques. Il n'y a pas d'"Etat de droit" somalien, qui réponde aux standards internationaux (*) et l'UE ne veut pas accréditer l'existence des entités autonomes en passant par-dessus "l'autorité" centrale. Mais, pour la France, il s'agit que chaque suspect arrêté ne soit pas relâché mais transféré à une autorité judiciaire. Pour résoudre ce hiatus, on procède à un petit tour de passe-passe. Le navire concerné quitte le pavillon européen et reprend alors, son pavillon national. Officiellement, l'UE ne voit rien et ne décompte pas ses suspects dans le compte des personnes traduites en justice.
Le Puntland a déjà jugé 154 pirates. Ce n'est pas la première fois que des pirates sont livrés au Puntland par la marine française (qui "affectionne" la région). L'Inde, l'Egypte, les Etats-Unis ont également choisis cette voie. Selon le gouvernement du Puntland, qui a fait le point sur la question, au 11 mars, « 154 pirates ont été condamnés à de longues peines qu'ils purgent dans les pénitentiers. Et 50 attendent leur jugement ».
La France libère rarement des suspects. Ce n'est pas un leurre. Selon mes comptes (voir bilan des opérations anti-pirates), sur les 167 pirates arrêtés par un navire français, dans l'Océan indien (toutes opérations confondues, sous pavillon européen ou national), 164 ont été remis à une autorité étatique, soit un taux de poursuite record de 98%. Sur les 164 remis à une autorité : 83 suspects ont été remis au Puntland somalien, 9 aux gardes-côtes somaliens, 29 transférés au Kenya, 28 aux Seychelles (ou en cours de l'être), 15 rapatriés pour êtres jugés en France.
En zone internationale (hors eaux territoriales), c'est le droit de l'Etat qui a procédé à la capture de décider du sort de ses suspects, en fonction de son droit national. Il peut ainsi décider de : 1) les juger dans son Etat s'il l'estime nécessaire et que c'est juridiquement possible (en général un rattachement clair et prouvé avec un national) ; 2) les transférer à un autre Etat, par exemple l'Etat d'origine du suspect (selon un principe général, un national peut être jugé par son Etat). Le dispositif en vigueur au sein de l'opération européenne Atalanta ajoute deux autres possibilités de transfert : soit vers un autre Etat membre ou participant à l'opération qui le revendique et a signé une déclaration en ce sens (***) ; soit vers un Etat côtier avec qui l'Union européenne a passé un accord de transfert (Kenya, Seychelles) si celui-ci l'estime nécessaire et que c'est juridiquement possible. Devant les difficultés avec le Kenya (celui-ci est débordé), l'UE prépare des accords avec d'autres Etats (****).
Décision logique. Le transfert au Puntland somalien de suspects somaliens ne me paraît donc pas vraiment illégal. Il semble, même, d'une certaine façon conforme aux règles usuelles. Il paraît logique, en effet, qu'un citoyen soit jugé par les autorités de son "Etat" ou de sa région d'origine. Le fait que, dans cette région, le respect des standards internationaux ne soit pas parfaitement respecté peut effectivement poser problème mais il s'agit d'avantage d'une question morale que juridique (du moins au niveau du droit international, applicable à la piraterie).
(*) Eunavfor "Atalanta": un mandat d'arrêt européen versus international
(**) Le droit applicable pour la piraterie (Montego bay et code pénal)
(***) Opération Atalanta, le dernier document approuvé
(****) Ashton autorisée à négocier avec 5 pays pour le transfert des suspects
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