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30 mai 2010 7 30 /05 /mai /2010 14:13

NorthwoodQG-2061.JPG(Au QG d’Atalanta) Northwood, dans une banlieue de plutôt verdoyante et huppée du nord de Londres. Le QG de l’opération européenne anti-piraterie « EUNAVFOR Atalanta » se trouve à l’intérieur d’une des grandes bases militaires de la capitale britannique. Et il est en « bonne compagnie ».

Petit tour du propriétaire

Sur le même site, on trouve en effet : le QG de l’Otan (dans un bâtiment de briques rouges), le Centre de conduite des opérations nationales (pour l’Afghanistan surtout) et le quartier multinational, ces deux derniers logés dans un bâtiment blanc, flambant neuf, très lumineux, et ses murs bleus ciels. Les officiers d’Atalanta viennent d’y aménager, il y a quelques mois. Et le prince Philip, duc d'Edinburgh l’a inauguré, au nom de la Reine, début mai. Au dehors, les travaux continuent ; la base de Northwood est en chantier permanent depuis plusieurs… années.

L’ensemble de l’équipe « Atalanta » est logé au rez-de-chaussée. Sur un grand plateau, sont regroupées les principales fonctions du QG : planification, politique (Polad) et juridique (Legad), média et information, finances et personnel... Au-dessous se trouve le commandant de l’opération et une salle identique qui permet, le cas échéant, de conduire simultanément, une seconde opération internationale… ou de doubler l’effectif.

Navires3-3700.jpgla "grande salle" de l'OHQ (crédit : Eunavfor)


La salle de conduite des opérations

Dans un des coins du bâtiment, le « saint des saints » : la salle de conduite des opérations. Une grande pièce, avec plusieurs bureaux et « l’arme de guerre » de l’opérateur de QG : l'ordinateur. Sur un des murs, les moyens engagés : les bateaux (avec photo et court descriptif), les avions (avec leur indicatif, parfois imagé, « Obélix » ne peut que désigner l'Atlantique 2 français de permanence ce jour-là).

Mais ce qui attire immédiatement l’œil, c’est ce mur d’images. Un des murs a, en effet, été transformé en grand écran. On peut y projeter ce qui est nécessaire à la décision. En général, d’un côté, on y trouve le « chat Mercury » (voir ci-dessous), et de l’autre une télévision en continu (comme Skynews ou CNN). Mais on peut faire apparaître sur cet écran improvisé, ce qui est nécessaire sur le moment.

Dans la salle, une douzaine d’officiers sont présents : au plus près de l’écran, l’équivalent de la cellule de quart sur le bateau : des « battlewatchers » suivent attentivement le « Chat mercury » ; une petite cellule de renseignement, l’administration des réseaux et les officiers de marine marchande du MSCHOA, le centre d’enregistrement des navires civils.

SalleOperation3537.jpgLa salle de conduite des opérations à Northwood (crédit : Eunavfor)


Des civils ici ! Oui

Et personne ne s’en offusque au contraire. Très tôt, les militaires ont, en effet, compris l’essentiel : « Nous ne pouvons pas tout faire tout seuls. Ce sont les mesures d’auto-défense (prises par les marins) qui sont les plus importantes » explique l’officier « de quart ». Ces mesures codifiées dans les bonnes pratiques maritimes. « Dans le corridor IRTC, les hélicos peuvent être là en 15 minutes. Si on est alerté, à temps, cela suffit. Quand ils voient l’hélico, les pirates fuient, la plupart du temps ». Mais si l’alerte est donnée trop tard, par exemple « quand on entend les pirates derrière les marins, avec un pistolet pointé contre l’équipage, on sait que c’est trop tard pour agir ». Mêler les civils aux militaires est donc non seulement souhaitable, mais nécessaire et utile, tous les jours.

L’officier s’interrompt dans son explication. L’avion suédois des gardes-côtes « BlueX » vient de repérer un bateau pirate. « 4 Pax signalés ». « Qui se rend sur place ? » demande l’officier de permanence. « Le Victoria » répond le battlewatcher. Les Espagnols ont entendu l’appel et foncent déjà sur l’objectif repéré…

Les Britanniques dans le rôle de la Nation-cadre

Au QG, ce sont les Britanniques qui assurent le rôle de « Nation cadre». Une soixantaine de personnes y sont affectées en permanence pour 18 mois. Ils procurent ainsi une bonne partie de l’effectif et, en même temps, de sa stabilité. Tandis que les autres nations envoient du personnel pour une durée plus limitée, variable, souvent entre 4 et 6 mois. La première relève se termine ainsi en ce moment. Moment délicat pour Atalanta qui doit pouvoir assurer le relais « sans perte de mémoire ».

 

Arrêt image sur le « chat mercury »

L’instrument le plus original…

Le « chat Mercury » est sans doute l’instrument le plus original de cette opération. Il pourrait d’ailleurs servir de modèle pour les futurs systèmes de surveillance maritime au niveau européen. C’est un système, assez simple, « utilisé à l’origine par les Britanniques » et adapté pour les besoins de l’opération maritime. « C’est très pratique. Auparavant chacun avait son système. Maintenant tout le monde est sur le même » me précise un officier de permanence.

 Dans son fonctionnement quotidien, ce chat est assez semblable aux « chats » grand public. Il n’est pas « protégé » au sens militaire du terme mais il est sécurisé. L’accès est restreint. Et seuls y accèdent ceux qui ont montré patte blanche…

« Il n’y a pas d’organisation qui compte. Mais uniquement des moyens disponibles. Chacun signale sa présence selon le principe de la bonne volonté et de l’esprit qui règne sur mer », un peu comme une VHF Marine. « Si un navire marchand est signalé attaqué, ceux qui sont le plus proches se portent spontanément à son secours, sans discussion » poursuit mon guide. « Entre marins, nous sommes entre gens civilisés » commente un autre.

« Du joint opérations sans chaîne de commandement »

Le gros avantage est, ainsi, de pouvoir rassembler l’ensemble des partenaires de la lutte anti-piraterie, quelle que soit l’opération à laquelle ils participent – EUNAVFOR, CMF, OTAN — ou leur nationalité. Japonais, Chinois, Russes… sont aussi présents sur « le fil » tout comme les gardes-côtes des Seychelles (cf. action combinée avec le Topaz). Les principaux centres de coordination (terrestre) des alliés sont reliés : l’UKMto (le centre britannique d’aide à la marine marchande de Dubaï), Alindien (amiral français commandant dans l’Océan indien), le CPCO (le centre de conduite des armées à Paris)…

En fait, sur Mercury, « on fait du joint-opérations sans chaîne de commandement, sans ordre de commandement » résume un des officiers responsables. « C’est uniquement basé sur la bonne volonté. Et ça marche. Personne ne peut se sentir obligé ou commandé. Et les questions politiques sont évacuées. C’est un canal neutre d’information ».

N’interviennent cependant que les acteurs opérationnels : les militaires. Il n’est pas question d’ouvrir le système aux navires marchands. Ceux-ci envoient leur info via le MSCHOA ou l’UKMTO. De même, les forces privées de protection n’y ont pas accès (normalement) au contraire des équipes de protection embarquées de l’armée française, connectées, via leur PC aux Seychelles.

Le Rôle de l'OHQ et ses moyens de liaison / coordination
Le Rôle de l’OHQ : interface entre la sphère politique et civile & la sphère opérationnelle et militare

Le travail de l’OHQ est d’assurer la liaison avec la chaîne de commandement politique et les autres partenaires opérationnels (civils comme militaires). Avec l’OTAN, ce n’est normalement pas difficile, il suffit de traverser la cour. Pour Bruxelles, c’est un peu plus compliqué. L’éloignement n’est pas automatiquement un atout.

« Ici on gère le moyen terme — de 2-3 jours à quelques semaines — notamment les relations avec le PAM et l’Amisom ». Le commandement tactique est effectué, directement sur mer, par le navire amiral qui emporte le FHQ (actuellement le Suédois, ensuite le Français).

L’OHQ prépare ainsi les directives militaires, donne les impulsions et indique les priorités que le commandant d’opération (l’OpCommander) entend fixer aux bateaux. C'est là qu'a notamment été élaboré la directive concernant le traitement des groupes suspects pirates, leur désarmement et leur libération (faute de pays d'accueil). L'OHQ gère également l’arrivée de nouveaux moyens, par contact avec l’État-major militaire de l’UE et l’État-Major concerné. Il assure également l’établissement de nouvelles bases ou la reconnaissance de sites : où mettre l’avion ? C’est ainsi que le P3 Orion portugais a été placé aux Seychelles plutôt qu'à Djibouti (où il n'y avait plus assez de place).

Des hommes de liaison

Atalanta a plusieurs officiers de liaison : à Bruxelles, Bahrein, Djibouti, Mombasa (Kenya).

A Djibouti et au Kenya, les délégations de la Commission européenne ont basculé, depuis le début de l'année 2010, comme ambassades de l’UE. Et « C’est intéressant. Elles se lancent dans le jeu politique » précise un expert du dossier. « Et cela facilite notre tâche ». Un officier de liaison d’Atalanta se trouve désormais dans l’ambassade UE (auparavant il était dans l’ambassade de France). Au Kenya, il y a un officier de liaison à Mombasa et à Nairobi, c’est le chef de délégation qui assure le lien avec les autorités.

Le rôle de l’officier de liaison à Bruxelles est légèrement différent. Il s’agit de maintenir le lien avec les autorités politiques, et avec les représentations permanentes, de « déminer quelques problèmes qui peuvent survenir ». Parfois, il s’agit d’incompréhensions ou de quiproquos. « La première fois qu’un diplomate à Bruxelles a vu qu’il y avait des contacts avec l’Iran, il a bondi. Et une explication a été nécessaire. Car nos messages, en jargon militaire, peuvent paraître plus conséquents pour le profane ».

La coopération avec l’OTAN, au beau fixe

La coopération avec l’OTAN et la CMF est au beau fixe. Tous mes interlocuteurs me l’ont rappelé, sur tous les tons. On ne sent pas les tensions et rivalités qui peuvent exister à un autre niveau, plus politique, à Bruxelles. Déjà, ici, tout le monde est sur le même site. Et la proximité facilite la coopération. « Nous sommes au-dessous de la ligne de flottaison du politique » explique un officier. Concrètement, « nous tentons d’avoir une appréciation commune sur l’action, les tactiques utilisées par les pirates. C’est très utile ».

CoordPiratBatimentNorthwood-OTAN1004.jpgLes équipes Otan et Eunavfor réunis en février 2010 (crédit : OTAN / SNMG2)

La Coordination structurée par le SHADE

Autre élément de coordination, plus formel, le SHADE (comme Shared Awareness and Deconfliction Meeting). Il regroupe les différents commandants d’opérations à un rythme régulier. En général, une fois par mois, à Bahrein, se retrouvent tous les chefs d’opérations. Pas pour de grandes discussions. Ces « réunions sont très pratiques. Elles vont dans le détail des tactiques. Il s’agit éviter d’être au même endroit et au même moment ». Le SHADE est coprésidé par un représentant d'EUNAVFOR et de la CMF.

La fonction de coordination est assurée par les trois forces multinationales en présence (UE, OTAN, CTF), alternativement, tant dans le corridor que dans le bassin somalien. Le rôle du coordinateur n’est pas d’assurer le commandement mais d’un « transmetteur d’information ». Un « animateur de réseau en quelque sorte ». A lui également de « détecter les manques ou d’éventuels conflits ».

L'arrivée de la Chine

Récemment, la Chine a proposé de rentrer dans le dispositif.« Il y a une réelle volonté » m’assure un expert du dossier. « Les Chinois semblent disposés à s’impliquer largement, en y mettant les moyens, en hommes et en navires. Ils ont envie de montrer qu’ils sont capables au niveau international et maritime, d’être reconnus comme une puissance à part égale. (...) Leur chaîne de commandement est assez lourde et remonte très vite au sommet. » Mais assez efficace semble-t-il. Les Chinois « observent d’abord, regardent comment ils pourraient agir. Une implication qui ne tient pas au hasard, dans l’Océan indien et en Afrique. Terre de prédilection des Chinois. « Ceci s’inscrit certainement dans une stratégie plus globale ».

Si, côté chinois, nombre de signaux sont positifs, du côté de l’Inde, c’est plus confus. L’Inde est aussi très présente dans cette mer qui porte son nom. Elle entretient des relations étroites avec les Seychelles (notamment en ayant rénové le navire des gardes-côtes, le Topaz). Ses navires de pêche ou commerçants sont parmi les seuls à s’aventurer encore dans les eaux somaliennes pour assurer le commerce et le ravitaillement de toutes sortes de produits. La piraterie qui restait jusqu’à présent cantonnée dans certaines limites nautiques commence à se rapprocher solidement des côtes indiennes. Et cependant, les relations restent sinon difficiles du moins complexes. « On ne sait jamais très bien comment ils fonctionnent. Nous avons des interlocuteurs souvent différents. Et généralement cela se perd dans les méandres de la bureaucratie de l’administration indienne ».

CdtBindtAmiralChinoisZhingo2-Eunavfor091122.JPGLe Cdt néerlandais Bindt et le Contre-Amiral Zhingo, en novembre dernier (crédit : EUNAVFOR)


Seul exclu : l’Iran

L’Iran et ses navires reste une exception dans l’effort de coordination maritime. Ses navires et son commandement n’ont accès ni au « Chat Mercury » ni au SHADE. Les rapports avec les bateaux iraniens se « limitent au minimum » explique un officier. Même si ce « minimum » n’empêche pas parfois certains quiproquos.

Nous avons tout de même pour règle de nous échanger des informations d’ordre technique : quand un hélicoptère prend son envol par exemple, nous nous appelons, pour éviter tout incident (qu’un autre hélicoptère décolle au même moment par exemple ou qu’il y ait confusion sur nos intentions).

Mais parfois quand un diplomate prend connaissance de ces échanges, souvent transcrits de façon laconique dans le rapport hebdomadaire, type « échange avec navire iranien pour envoi d’hélicoptère », cela peut donner lieu à questionnement politique. Le mot Iran fait bondir à Bruxelles (voir plus haut, sur les officiers de liaison).

Et.. la cafet’ lieu ultime de coordination

Je ne pouvais achever ce tour du propriétaire sans … un tour à la cantine, la cafet’, le lieu le plus stratégique de la base. C’est ici que s’échangent les derniers potins de la base mais aussi que s’échangent les dernières appréciations sur les pirates ou que s’échafaudent des coordinations, hors cadre. On ne dira jamais assez combien la cantine et surtout le café pris en commun vaut tous les plans et comités de coordination (enfin presque :-).

(reportage effectué fin avril au QG de Northwood - crédit photo : NGV (logo northwood), EUNAVFOR (intérieur), OTAN)

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logo_ouestfrancefr.pngL'éditeur : Nicolas Gros-Verheyde. Journaliste, correspondant "Affaires européennes" du premier quotidien régional français Ouest-France après avoir été celui de France-Soir. Spécialiste "défense-sécurité". Quelques détails bios et sources.