Hervé Morin, le ministre français de la Défense, vient d'écrire à Javier Solana - le Haut représentant de l'UE pour la politique étrangère - et à Sten Tolgfors - le ministre suédois de la Défense, qui préside actuellement l'UE - pour leur rappeler toute l'importance d'un nouvel engagement des Européens pour la Somalie (plutôt qu'en Somalie). Une lettre qui vient d'être rendue publique par le ministère de la Défense français. Du moins, en partie. Nous avons pu avoir connaissance de l'intégralité de la lettre. Elle est intéressante, à plus d'un titre, car elle exerce une véritable pression sur les Européens pour qu'ils sortent de leur frilosité.
Eviter la déstabilisation
"La Somalie ne doit pas devenir un foyer de déstabilisation" écrit Hervé Morin. "Au-delà de ses effets régionaux, la déstabilisation de la Somalie menace directement la sécurité des Européens et la sécurité internationale." Il existe des "liens" - des liens "prouvés" - entre les Shababs somaliens et El Qaida, souligne-t-il. Et effectivement, ne pas s'engager en Somalie alors que les forces européennes sont engagées en Afghanistan pourrait paraître difficile. « C'est là l'intérêt de l'Europe autant qu'en Afghanistan » souligne le Ministre.
Poursuivre l'initiative française
"L’UE s’est engagée avec succès dans l’opération Atalante, pour réduire les attaques de pirates", elle doit aller plus loin, souligne le ministre français de la Défense. « L’UE doit élargir son approche pour former les gardes-côtes et les policiers, renforcer les capacités maritimes régionales et le soutien à l’AMISOM ». Et, pour lui, « l’engagement de l’Union européenne dans la formation de forces de sécurité somaliennes robustes et opérationnelles peut constituer une action de stabilisation efficace ».
La France a déjà engagé une première formation de 500 militaires somaliens. 150 militaires ont déjà été formés, les 350 ont commencé à l'être. Un camp de toile a été monté à 30 km de Djibouti, dans ce but. Et 400 soldats somaliens ont été formés en Ouganda, par les Américains.
Former 3000 hommes supplémentaires
Hervé Morin propose de lancer donc une nouvelle mission PESD, mission "non exécutive", qui aura pour tâche de former "3 000 soldats supplémentaires de la force de sécurité" du gouvernement transitoire somalien. Cette mission pourrait se dérouler dans les deux pays où la formation se déroule : Djibouti et Ouganda. Mais surtout dans ce dernier pays. Il s'agit, estime-t-on à Paris, de ne pas mettre trop la pression et l'attention sur Djibouti (NB : Djibouti a des frontières communes avec la Somalie, à la religion musulmane et une bonne partie de la population est de même origine que de l'autre coté de la frontière).
La France souhaiterait également ne pas prendre le "lead" de la mission. Du moins ne pas l'afficher (tant que la question de l'otage français en Somalie n'est pas réglée). L'option préférée par Hervé Morin serait donc que la France vienne "en soutien" - par des formateurs ou de la logistique - et qu'un autre pays européen prenne le lead de l'opération (*).
La lettre et sa communication à la presse
deux objectifs
Convaincre les Européens....
Cette initiative (la lettre et sa communication) s'inscrit dans un contexte d'indécision européenne. Si certains ministres se sont montrés disposés à suivre les Français - les Chypriotes et Luxembourgeois - et d'autres prêts à les rejoindre - les Allemands - la plupart des autres Etats sont plus dubitatifs (1). Même la ministre espagnole de la Défense, Carme Chacon, qui est prête à soutenir l'initiative française, l'a rappellé à Göteborg : "il ne s'agit pas de former des personnes que l'on va retrouver ensuite comme pirates".
Cependant une action complémentaire à l'action en mer est nécessaire. Tout le monde est absolument d'accord sur ce point : c'est à terre - et uniquement à terre - qu'on pourra régler le problème de la piraterie, mais aussi la question d'avoir un "Etat failli" en bordure de mer rouge, déstabilisateur pour toute la zone : Djibouti, Yemen, Ethiopie, Erythrée... Ainsi que l'avait déjà expliqué Javier Solana, en mai dernier (2), il importe d'agir en Somalie. Cette lettre arrive à point nommé également car les 27 ambassadeurs du COPS, le comité de politique et de sécurité de l'UE, sont sur place ce week-end, pour une visite de travail (3).
... et régler ses comptes avec Lellouche
Cette communication s'inscrit aussi - reconnaissons-le - dans un conflit plus personnel, plus parisien, entre deux ministres : Pierre Lellouche et Hervé Morin. Le premier est secrétaire d'Etat aux Affaires européennes et se sent un peu à l'étroit dans son poste. Il ne rêve que de s'occuper de "Défense". Et il le montre. Lundi dernier il était à Bruxelles pour une visite exclusivement tournée vers la PESD (4).
Aujourd'hui, il s'envole à Djibouti pour visiter l'action de formation des forces somaliennes menée par l'armée française et rencontrer les ambassadeurs du COPS. Ce qui revient - proprement dit - à marcher sur les plates-bandes de son homologue de gouvernement. Il y a comme un peu de confusion dans l'air entre le Quai d'Orsay et la rue Saint-Dominique (siège du ministère de la Défense). Il serait d'ailleurs temps que le président de la République, Nicolas Sarkozy, y mène un peu d'ordre. Car ceci est quelque peu troublant pour les Européens.
(*) Il est d'usage dans les missions européennes qu'un Etat soit la "nation-cadre" d'une opération soit parce qu'il est déjà implanté dans la région, soit parce qu'il y a des affinités diplomatiques, politiques ou démographiques.
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