Supprimer l'UEO, dans le landerneau européen de la Défense, cette question suscite immédiatement (un peu) de gêne, teintée de réserve voire de regret "Oui mais" ou "plus tard" est souvent la réponse quand on pose la question... (quand on se pose la question !). Mais en dehors de ce milieu de "spécialistes", l'UEO suscite généralement l'incompréhension avec une interrogation du genre "elle existe encore" voire "c'est quoi ce truc". Preuve qu'il y a tout de même un hic !
Question rarement posée, réponse jamais obtenue
Si l'Union pour l'Europe occidentale créée pour compenser l'absence de politique de défense de la CEE se justifiait il y a encore 10 ou 15 ans, depuis la création de l'Union européenne, de la PESD, de l'institution d'un haut représentant, du rattachement des agences de l'UEO (le centre satellitaire de Torrejon et l'Institut d'études de la sécurité de Paris), on pouvait vraiment se poser la question : à quoi sert-elle ? Personne n'osait aborder cette question de front. Car, démanteler une organisation internationale est plutôt rare, qui plus est quand celle-ci a pour rôle d'assurer la représentation d'élus... Et, quand celle-ci a son siège, en France, encore plus. La question posée de ci de là, fort discrètement, était donc toujours restée sans réponse. L'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne appelle cependant à une remise à jour de cette question.
Le premier à tirer... Arnaud Danjean
Dans ce nouveau contexte, le premier à avoir mis les pieds dans le plat est Arnaud Danjean, le président de la sous-commission Défense du Parlement européen. Devant les représentants de l'Assemblée nationale à Paris, le 22 décembre, Arnaud Danjean n'y a pas été par quatre chemins : « Si je m’en tiens stricto sensu aux traités, ma réponse spontanée concernant l’UEO sera lapidaire : suppression ! C’est l’étape finale à laquelle il convient d’aboutir selon le traité de Lisbonne. » Et de justifier sa position : « Il me semble plus logique, pour rationaliser et rendre plus cohérents les efforts en matière de défense européenne, que nous soyons les seuls représentants en matière de sécurité et de défense au niveau parlementaire. Si l’on s’en tient à l’esprit et à la lettre du traité, l’UEO, qui produit en effet des analyses de qualité, est vouée à être supprimée. Mais cela devra se faire de manière progressive et intelligente.» Mais apparemment les rapports entre les deux assemblées sont tendus : « Néanmoins, l’activisme du président de l’Assemblée de l’UEO, M. Robert Walter, n’arrange pas les choses. Il s’auto-attribue beaucoup de compétence dans le domaine de la défense européenne, ce qui irrite beaucoup de mes collègues parlementaires européens et risque d’accélérer la suppression de cet organisme. »
Peut-on partager cet avis ?
Oui, dans la mesure où il paraît aujourd'hui incongru d'avoir une assemblée qui se réunit, qui produit des rapports (ma foi très intéressants, voire plus que ceux du Parlement européen) mais qui n'a aucun autre pouvoir ni de légitimité. Le Traité de l'UEO a, en effet, été totalement vidé de sa substance, en dernier lieu par le Traité de Lisbonne. Celui-ci en proclamant une clause de solidarité de l'UE a, en effet, enlevé la dernière originalité qui subsistait.
Maintenant l'UEO a un avantage, assez avant-gardiste sur le Traité de Lisbonne : associer étroitement les parlementaires nationaux à des discussions européennes. Avantage indéniable quand on sait que la politique de défense reste, et restera encore pour de longues années, une prérogative où le poids des Etats et des décisions nationales sera primordial. Qui plus est, certains de ces députés sont devenus, au fil du temps, de vrais spécialistes des questions de défense. Ce qui, malgré la qualité de quelques eurodéputés, n'est pas encore le fait du Parlement européen (quand ceux-ci ne désertent pas les séances de la sous-commission défense, lire plus bas). Certaines mesures de transition et de compensation seront donc utiles.
Deux mesures de "compensation" : associer les députés nationaux...
Si on supprime l'UEO, il faudrait alors trouver un moyen d'associer ces députés nationaux au travail du Parlement européen. On pourrait, fort bien instituer un statut d'observateur pour au moins deux députés nationaux par Etat membre, soit de façon systématique, soit de façon plus solennelle, pour une ou deux séances par semestre : lorsque le représentant de la présidence par exemple vient présenter ce programme (en tenant des séances ouvertes - comme avec l'assemblée parlementaire de l'OTAN).
... et transformer la sous-commission Défense du PE en commission de plein exercice
C'est aussi nécessaire. Pour plusieurs raisons. Sur le fond, l'existence d'une commission paraît obligatoire vu le nombre de sujets industriels, capacitaires, opérationnels, politiques qui sont en jeu. La mise en place du Haut représentant nouvelle formule, d'une future coopération structurée permanente, voire de coopérations renforcées, la montée en puissance des questions industrielles à terme (avec les 2 directives publiées en 2008) et la lente montée en puissance de l'agence européenne de défense, impose cette transformation. Cette disposition permettrait aux députés de se consacrer à temps plein à cette commission (1) et donner à leurs rapports tous leur poids. La commission pourrait ainsi être associée aux travaux législatifs des autres commissions (budgétaire pour le budget, marché intérieur pour les questions industrielles, etc...).
Bien sûr, certains députés argueront du règlement de l'assemblée qui limite le nombre de commissions, d'autres évoqueront de pseudo arguments rationnels. Il faut bien voir que derrière ces grincements de dents se cachent quelques sentiments plus corporatistes. Pour parler franc, certains membres de la commission des Affaires étrangères ne tiennent pas à perdre ce "bébé", qui leur permet de se plonger sur des sujets "lourds" et souvent médiatiquement en vue : comme l'intervention en Afghanistan...
Cette disposition aurait l'avantage de mettre fin à l'absentéisme chronique d'une nette majorité de députés de la sous-commission défense (2). Absentéisme humiliant, observé à plusieurs reprises, quand trois-quatre députés sont présents en séance alors que 5-6 experts de haut rang, voire ministériels, sont à la tribune. Il y a là - à mon sens - un net problème non pas de représentation démocratique mais de prestation démocratique (3).
Il poserait également les groupes politiques du Parlement européen face à leurs responsabilités. Comme le faisait remarquer, justement Arnaud Danjean aux députés français, une des « difficulté(s) que la sous-commission « Sécurité et défense » doit affronter tient à sa composition elle-même. Certains groupes politiques très minoritaires l’utilisent beaucoup plus comme une tribune que comme un outil constructif. A l’exemple de M. Karl von Wogau, l’un de mes objectifs est de faire des principaux groupes politiques sa colonne vertébrale lui permettant de donner à ses travaux une vraie crédibilité et d’être prise au sérieux lorsqu’elle interpelle la Commission ou le Conseil. Aujourd’hui, nos vues sont trop souvent perçues comme étant tribuniciennes, sachant que dans nos discussions les conservateurs britanniques ne supportent pas que le terme « Europe » soit accolé à celui de « défense », tandis que l’extrême gauche allemande ne veut pas entendre les termes « défense » ou « militaire ». Néanmoins, une collaboration entre les groupes du Parti populaire européen, de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates, des Verts/Alliance libre européenne et de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe devrait, en faisant progresser les idées de défense européenne, donner plus de crédibilité à notre sous-commission. »
(1) Un député ne peut être titulaire qu'à une commission et suppléant à une autre. Les sous-commissions ne sont pas décomptées dans cette limite.
(2) Selon mes calculs, on peut estimer à une dizaine de députés qui régulièrement assistent aux séances sur 36 titulaires et 36 suppléants, ca fait peu !
(3) Sans parler de l'obligation contractuelle : le contrat qu'a passé le député avec le peuple de le représenter.