Le Conseil des ministres des Affaires étrangères a approuvé, le 8 décembre une position commune rendant contraignant le code de conduite de l’UE en matière d'exportation d'armements (comme je l'ai détaillé dans un article déjà publié dans
Europolitique). Une décision passée plutôt inaperçue - et peu mise en valeur par les autorités politiques européennes - mais qui a une importance notable sur le futur.
On peut certes remarquer que le caractère "contraignant" de ces mesures repose encore en large partie sur la volonté propre de l'Etat membre (I.) et qu'aucune sanction communautaire n'existe en cas de dérapage. Mais la série de critères mis en place (II.) est si restrictive et décyptive que la liste des pays où l'exportation d'armes est limitée ou sous surveillance devrait s'allonger si on les applique réellement. A première vue, l'exportation vers des pays en conflit avec leurs voisins : la Russie, en Israël / Palestine, au Liban / Syrie, au Congo / Rwanda, devrait être interdite. De même que les exportations vers la Chine, le Pakistan, ... Bref le commerce d'équipements de sécurité et de défense subirait une belle chute. Un peu irréel non ?
NB : Cette décision entre dans le cadre de la négociation entre le Parlement européen et le Conseil des Ministres de l’UE sur la
directive pour les transferts de technologies d’armements au sein de l’UE. On sait que le contrôle d’exportations (hors UE) était une revendication du Parlement qui souhaitait l’inclure dans la directive.
I. La compétence de l'Etat membre avant tout, sans contrôle de la justice, vraiment ?
Le principe reste que chaque Etat membre évalue, « au cas par cas », les demandes d’exportation d’équipements, qu’ils s’agissent d’exportations « physiques » (matériels, licences…), du courtage, du transit ou transbordement, des transferts intangibles de logiciels ou technologies (internet, téléphone…). La décision d’autoriser ou de refuser le transfert est laissée à l’appréciation de chaque Etat membre. Et c’est la législation des Etats qui « précise dans quel cas une autorisation d’exportation est requise ». Un Etat a toujours la possibilité de mener une politique plus restrictive.
Le problème est que cette décision pour employer des mots forts "l'Etat membre... est refusée... quand ..." - impliquant une obligation (le présent dans une décision juridique) reste du domaine du 2e pilier (relations extérieures, défense) et non du 1er pilier (communautaire). Conséquence concrète : si un Etat ne respecte pas ces règles, il a peu de chances d'être tancé. La Commission européenne ne peut normalement enclencher une procédure en manquement (amende à l'appui ensuite). La Cour de justice n'a pas compétence en matière d'interprétation... Enfin normalement.
L'avenir. Il faut cependant se garder d'être pessimiste. La décision passée aujourd'hui est une "avancée certaine", comme le dit le ministère des Affaires étrangères. Et un autre pas pourrait être franchi dans le futur... à Luxembourg. Il faudra être patient. Il faudra sans doute attendre entre 5 et 10 ans pour cela. Mais il y a des possibilités d'évolution.
Première possibilité d'évolution : la question préjudicielle. Si on raisonne selon la jurisprudence de la Cour, rien n'empêcherait celle-ci de se saisir de la question par un biais indirect : la directive sur les transferts d'équipements militaires au sein de l'UE. Prenons un cas concret : un Etat A (membre de l'UE) transfère à un Etat B (membre de l'UE) des équipements. Pas de problème. Mais ces équipements sont ensuite réexportés dans un pays douteux. Du moins dans un pays où l'Etat A aurait pu refuser l'exportation. Le certificat dont bénéficie la société - pour les transferts de l'UE - est supprimé. Ou un concurrent porte plainte. Bref l'affaire arrive à la Cour de justice, qui est compétente, pour interpréter la directive - avec le dispositif de licences. Mais il y a une question pour savoir si l'exportation était douteuse. Les juges auront deux choix alors. Soit arrêter leur raisonnement, et dire "nous ne sommes pas compétents". Soit essayer de saisir les conditions de l'exportation - liée à la question du certificat - et dans ce cas, ils se réfereront à cette décision qui vient d'être approuvée. Et tenteront d'en interpréter les critères. Une option qui n'est pas improbable quand on observe la jurisprudence de la Cour depuis le début. Du coup, le dispositif pourrait glisser du 2e pilier au 1er pilier. Ce ne serait pas la première fois.
Deuxième possibilité d'évolution : la compétence externe. La compétence de la Commission européenne sur la possibilité de proposer une nouvelle directive sur les exportations d'armes pourrait suivre le même chemin. On sait que cette option - discutée au sein de la Commission - avait été rejetée, avant même la proposition de directive. Et est combattue par les Etats membres. Soit cette option est entérinée par la Cour de justice. Mais on peut envisager un autre futur. La Cour de justice pourrait - suivant un raisonnement qu'elle a suivi dans le passé (sur le transport par exemple) - considérer que la Commission ayant la compétence interne (sur le marché intérieur de l'UE) pourrait l'avoir également sur le plan externe (exportations hors UE). Cette voie est beaucoup plus étroite que la précédente. Mais qui sait l'évolution dans le futur
Troisième possibilité d'évolution : les accords avec les pays tiers. Plusieurs dispositions peuvent être intégrées dans les accords (association, stabilisation...) signés avec les pays tiers, ou le sont déjà, ceux-ci s'engageant à respecter les accords internationaux. C'est une autre voie pour l'élargissement de la compétence de la Cour comme de la Commission.
Les huit critères de l'exportation des armes
Les quatre premiers sont d’ordre "obligatoire" – l’autorisation d’exportation est refusée » — ; quatre le sont moins — il faut en « tenir compte ».
1° Respect des obligations et des
engagements internationaux des Etats membres : embargos sur les armes décrétés par l’ONU, l’UE ou l’OSCE ; obligations découlant du traité de non-prolifération des armes nucléaires, convention sur les armes biologiques et à toxines, convention sur les armes chimiques ; engagement de n’exporter aucun type de mine terrestre antipersonnel ; autres engagements internationaux (Groupe Australie, Comité Zangger, Groupe des fournisseurs nucléaires, arrangement de Wassenaar, code de conduite de la Haye sur les missiles balistiques).
2° Respect des
droits de l'homme et du droit humanitaire international. Après avoir « évalué » l’attitude du pays, l’autorisation doit être refusée s’il existe un « risque manifeste » d’usage pour « la répression interne » ou pour commettre des « violations graves du droit international humanitaire ». Une « prudence toute particulière » est recommandée dans les pays « où de graves violations des droits de l'homme ont été constatées ».
3°
Situation intérieure (existence de tensions ou de conflits armés). L’autorisation doit être refusée si elle est « susceptible de provoquer ou de prolonger des conflits armés ou d'aggraver des tensions ou des conflits existants dans le pays de destination ».
4°
Préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales. L’autorisation doit être refusée « s'il existe un risque manifeste que le destinataire envisagé utilise la technologie ou les équipements militaires dont l'exportation est envisagée de manière agressive contre un autre pays ou pour faire valoir par la force une revendication territoriale ».
5°
Sécurité nationale des États membres et des territoires dont les relations extérieures relèvent de la responsabilité d'un État membre. Avant de délivrer l’autorisation, il faut évaluer le risque de voir l’équipement concerné employé contre les forces « des Etats membres et celles de pays amis ou alliés ».
6°
Comportement du pays acheteur au niveau international. On tient compte notamment de son attitude envers le terrorisme et la criminalité internationale et le respect des engagements internationaux (non recours à la force, droit international humanitaire).
7° Existence d'un risque de
détournement de la technologie ou des équipements militaires dans le pays acheteur ou de réexportation de ceux-ci dans des conditions non souhaitées.
8°
Compatibilité des exportations de technologie ou d'équipements militaires avec la capacité technique et économique du pays destinataire, compte tenu du fait qu'il est souhaitable que les États répondent à leurs besoins légitimes de sécurité et de défense en consacrant un minimum de ressources humaines et économiques aux armements.
A noter que même s’ils peuvent être « pris en compte », les incidences des exportations sur les intérêts économiques, sociaux, commerciaux et industriels ne peuvent « affecter l’application de ces (huit) critères ».
Information entre Etats membres et rapport annuel
Une procédure d’information a été mise en place. Chaque Etat membre diffuse ainsi des précisions sur les autorisations d’exportation refusées, et les « motifs de refus ». S’il envisage de donner une autorisation pour une « transaction globalement identique » à celle refusée par d’autres États membres au cours des trois dernières années, une procédure de consultation préalable est mise en place : « avant » l’autorisation, l’Etat doit consulter les Etats ayant refusé. S’il décide néanmoins d'accorder l’autorisation, il les informe, « en fournissant une argumentation détaillée ».
Un rapport annuel. Chaque Etat membre publie, chaque année, un rapport précisant les conditions d’application de la décision européenne. Ces informations restent confidentielles. De façon publique, en revanche, l’UE publie régulièrement un rapport de synthèse. Pour les spécialistes armements du GRIP, le Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité, c’est là où le bat blesse. « Il est regrettable que les critères du Code n’aient pas été mieux explicités et que le contenu des rapports annuels des Etats ne soit pas uniformisé. Cela laisse une « trop grande latitude aux Etats membres ».
Pour
télécharger le dernier rapport annuel sur l'exportation des armements publié (dans le cadre du code de conduire)