C’est une petite phrase perdue au milieu d’une conclusion de la dernière réunion des Ministres des Affaires étrangères, le 15 septembre, qui peut paraître anodine. « It agreed to work towards a unified EU representation in Afghanistan. »
Elle signifie que les « 27 » sont, enfin, tombés d’accord sur la nécessité d’avoir une représentation unique à Kaboul. Il était temps ! La situation ne pouvait plus durer. D’un côté, en effet, il y avait la délégation de la Commission européenne, qui gérait surtout les projets de développement ; de l’autre celle de l’Union européenne, avec l’Envoyé spécial qui avait une visée plus diplomatique et de sécurité (lire également "les députés Uk dégainent... l'Europe dispersée"). L’envoyé spécial de l’UE aura également la fonction de chef de délégation de la Commission. Ce qu’on appelle en terme européen le « double hatting ».
C’est primordial sur le terrain et nécessaire politiquement. Mis à part l’exemple du représentant de l’UE auprès de l’Union africaine et en Macédoine yougoslave (qui ont une portée plus limitée en terme territorial), c’est en effet un élément précurseur de la mise en place du futur Service d’action extérieure (prévu par le Traité de Lisbonne, qui plus est dans un pays « difficile» et aux défis importants. Ce n’est que justice. L’Europe pourra ainsi peser son poids réel. L’assistance financière de l’Europe (UE + Etats membres) se monte à un milliard d’euros par an (1,5 Milliard de $) et les armées d’Etats membres ont autant d’hommes déployés dans l’ISAF que les Etats-Unis (lire : la seule façon de gagner la guerre en Afghanistan). Mais divisée, non coordonnée, l’Europe a été, jusqu’ici, incapable de peser sur la stratégie. Cela doit changer… Cela va changer ? On verra…
Cette adoption est la première proposition de l’Union européenne sur le papier qu’a soumis Javier Solana, le Haut représentant aux 27 Etats membres.
Un processus de débat en cours
Ce document mérite d’être détaillé. Présenté au Gymnich les 4 et 5 septembre, il présente une série « d’idées », pas encore vraiment des projets pour tous les débats qui occupent actuellement les diplomaties européennes sur l’Afghanistan – Pakistan (l’Afpak) afin de renforcer l’action européenne dans la région (et se sortir du guêpier afghan). La prochaine étape ministérielle de ce débat est l’informelle des ministres de la Défense le 29 septembre (lors du lunch, lire le programme). Puis Javier Solana devrait rédiger un nouveau document de « projets » et les Ministres des affaires étrangères se décideront les 26 et 27 octobre (à Luxembourg). Leurs conclusions seront normalement endossées par les Chefs d’État et de gouvernement, lors du sommet des 29 et 30 octobre. Le trajet peut paraître compliqué (et encore je simplifie - :). Mais il constitue un trajet, somme toute, assez classique pour les « grands » sujets de politique étrangère européens.
L'UE propose également de tenir une conférence internationale - après le processus électoral - à Kaboul (1). Proposition reprise par le trio Merkel - Sarkozy - Brown (lire ici).
Au-delà des enjeux pratiques – une meilleure coordination des efforts européens – et stratégiques – la reconstruction de l’Afghanistan – il y a aussi un objectif tactique à cette discussion qu’on peut considérer à double détente. Il s’agit pour les Européens de tenter de reprendre pied dans la discussion à égal avec les Américains. Et aussi pour les politiques, particulièrement les diplomates, de reprendre la main sur les militaires qui ont, jusqu’ici, conduit tous les débats.
Renforcer les actions existantes : police, justice
Coordination. C’est le maître mot du document. Un des premiers objectifs est justement de s’attaquer au « manque de coordination entre la communauté internationale – conjuguée avec le manque de motivation et de capacité du côté afghan – qui sont responsables, de la lenteur et de l’inégalité des progrès dans la reconstruction. » Outre le « double hatting », il paraît nécessaire, insiste le document, de « renforcer la coordination entre Européens » et de mettre en ordre « les multiples instruments communautaires mis en œuvre ».
Mission de Police (Eupol). C’est la mission de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), gérée par l’Union européenne. Mais malgré les appels répétés, Eupol Afghanistan n’a toujours pas atteint l’objectif de 400 personnes, fixé en mai 2008. Selon les derniers comptes, on atteint seulement… 265 personnes. C’est donc la "top priorité". Mais un peu las de répéter les appels (semble-t-il), le secrétariat de l’UE suggère d’exploiter d’autres pistes, pour rendre les postes plus attractifs : soit augmenter le budget de la PESC alloué pour embaucher des officiers, soit mettre en place un « trust fund » des Etats membres. En clair, certains Etats ont des hommes mais pas de moyens financiers, d’autres ont quelques moyens financiers mais pas de personnel à envoyer. La mission européenne de police n’est pas le seul problème. Il faut aussi soutenir la police afghane. Comme le souligne un expert du dossier que j'ai interrogé « quand vous voyez que les talibans paient trois fois plus que le gouvernement pour les policiers… ». Le document propose donc d’étudier (et mettre en place) un mécanisme de financement pour soutenir les activités d’Eupol et fournir un soutien complémentaire pour la police afghane.
Le volet Justice, est depuis la conférence de Rome en 2007, aussi du ressort européen, mais c’est "l’autre côté de la rue" (2), la Commission européenne, qui a le « lead », les progrès sont lents, très lents. « Les progrès ou les réformes ont été torpillés par la résistance afghane à l’intérieur des institutions judiciaires » explique-t-on.
Les autres pistes : gestion des frontières, liaisons ferroviaires, formation de l’administration afghane.
Réintégration. L’objectif est de réintégrer les éléments de l’insurrection. l'UE pourrait ainsi participer à un « trust fund » de plusieurs donateurs pour soutenir les efforts du gouvernement afghan dans ce sens.
La gestion des frontières (Une mission Eubam ?). L'UE pourrait offrir au Pakistan et à l’Afghanistan, sa compétence déjà acquise sur d’autres terrains (Mission Eubam Moldavie, Gaza…), en matière de gestion des frontières, qu’ainsi une assistance technique et une expertise.
Liaisons ferroviaires. L'UE pourrait lancer des mesures pour faciliter le commerce et le transit en Afghanistan, notamment une étude de faisabilité sur les liaisons ferroviaires dans la région.
Formation de l’administration afghane. Elle pourrait se faire par la mise en place d’un « centre de formation des agents de l’administration » afghane, voire de « centres de formation régionaux ». Le tout accompagné d’un paquet de « capacity building », avec l’engagement des Etats membres et de l'Union européenne. L’idée est aussi d’utiliser la « réserve d’experts » européens – constituée en matière de gestion civile de crises - pour prêter une assistance technique dans les secteurs nécessaires.
Et au Pakistan, une nouvelle mission SSR ?
Avec le Pakistan, la prudence est de rigueur, on le sent bien. Et les propositions soigneusement pesées.
Pooling des moyens européens. Là aussi, il s’agit de renforcer la coordination entre les Etats membres et la communauté, en utilisant la technique de « pooling » (mise en commun) des ressources. « Plusieurs Etats membres ont des ressources financières disponibles pour le Pakistan mais un nombre limité ont des capacités de sécurité et logistique pour la livraison sur place » souligne-t-on. Il s’agit aussi de renforcer les contacts à tous les niveaux entre les structures européennes et l’administration pakistanaise.
Volet État de droit : une mission SSR. L'UE n’en offre pas moins son assistance pour la réforme du secteur de sécurité (SSR) et la construction d’une capacité de lutte contre le terrorisme. Enfin. Du moins, « c’est une idée ». L'UE aiderait le Pakistan, dans ce cadre, à « définir sa stratégie de contre-terrorisme ». Cela pourrait comprendre le soutien en formation et en matériel, comme l’établissement de « recommandations » pour des actions concrètes. Cette coopération ne peut se faire cependant qu’à une condition, sous-entend le document : « inclure un dialogue sur l’État de droit et les droits de l’homme »...
Volet économique : une ouverture des frontières européennes. L’autre volet de la coopération avec le Pakistan concerne le développement socio-économique. Il s’agit, suite aux précédentes déclarations de l’UE, d’assister le Pakistan en matière de nomes sanitaires, phytosanitaires pour la pêche et d’autres produits afin qu’il puisse bénéficier du tarif préférentiel douanier (dit : GSP+).
(1) Cela peut paraître un peu farfelu. Kaboul, en hiver, à plus de 1500 m d'altitude, c'est le froid et la neige. Mais effectivement cela mettra un peu tout le monde dans l'ambiance. Avec des risques pour la sécurité conséquents...
(2) Les bâtiments du Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne, à Bruxelles, sont situés face à face de par et d’autre de la rue de la Loi.