La politique européenne de sécurité et de défense commune (PeSDC) avance discrètement derrière les murs du Justus Lipsius (le Conseil de l'UE), le Cortenberg 150 (l'Etat major) ou la rue des Drapiers (l'Agence européenne de Défense).
Missions militaires et civiles (Kosovo, Tchad, Afghanistan, Israël, Ouganda, Irak...), logistique et transport aérien
L'aide européenne est arrivée à Haïti. Sans être aussi massive et "tambourinante" que l'aide américaine, elle a été précise, rapide, et est montée en puissance peu à peu. Mais,voilà, cela ne s'est pas su...
Comment faire des choses et ne pas le dire En fait s'il y a eu un véritable raté dans cette opération "Haïti", c'est la communication de l'UE, un "flop" retentissant qui a duré plusieurs jours, le temps que cela s'organise un peu,diront les âmes charitables, le temps que certains Etats décident de reprendre en main, diront les autres.On a ainsi véritablement commencé à avoir une vision européenne quand plusieurs pays ont évoqué l'idée d'envoyer une force de sécurisation - des gendarmes ou policiers militaires - sous drapeau de l'UE.Mais il était déjà tard. Dans le timing d'une catastrophe, chacun le sait, il faut être présent (médiatiquement) s'entend dans les 24-48 premières heures. Après le flot l'emporte...
Comment louper la com', en sept points ...
La réaction européenne dans ce domaine peut se résumer à quatre mots : trop lent, trop tard, trop discret, dispersé.
J'ai recensé au moins sept exemples :
- des communiqués de situation remis à jour mais publiés le plus discrètement possible. Sans aucun signalement médiatique, du moins au début. Il fallaitaller fouiller au fin fond du site internet de la Commission européenne pour le trouver.
- des réunions de crise tous les jours sans aucun compte rendu, information à jour (et encore moins de photo !) ; - aucun point régulier de situation fait en chair et en os ;
- une lenteur à disposer d'informations additionnées sur les moyens européens dégagés ;
- des chiffres incomplets, largement au-dessous de l'effort réel. Chaque entité européenne (Echo, Mic) a additionné ses chiffres des personnels engagéssans avoir une vue globale ni entreprendre une prise en compte de TOUS les moyens envoyés par les Etats membres (humanitaire, secours d'urgence, sécurité civile, militaires...). Ainsi l'humanitairene prenait pas en compte la protection civile, la protection civile ne prenait pas en compte les militaires, etc. Résultat, pendant plusieurs jours, il fallaitprendre sa calculette et appeler chaque Etat, voire chaque direction générale de la Commission européenne, pour avoir une idée de l'effort global. Quand j'ai demandé pourquoi ce n'était pas fait,on m'a répondu doctement : « ce n'est pas nous qui coordonnons ». Sans compter que les quelqueschiffres communiquéssurl'effort européen,durant les premiers jours de la catastrophe,étaient faux: ainsi ce blog répertoriait déjà plus de 1200 personnels européens engagés sur le terrain, alors que la Commission européenne n'en comptait qu'à peine 700 ! (lire :La Commission a minoré l'aide "protection civile" à Haïti). Et encore aujourd'hui, il est difficile d'avoir une réponse concrète à une question simple : combien de personnels l'UE et les 27Etats membres ont envoyé sur place, tout compris ? réponse... ;
- peu d'utilisation des instruments de diffusion rapide d'information (twitter) et des réseaux sociaux (sauf par ECHO qui a une page fan sur facebook, où il y avait d'ailleurs "un peu" plusd'information que sur la "communication officielle" ;
- une information disponible surtout en anglais. Double erreur selon moi. Erreur politique bien sûr car Haïti est un pays francophone. Et l'effort despays latins ou francophones (Belgique, France, Espagne, Italie) a été notable dans cette crise.Même les marines US, à Haïti, s'efforçaient de parler enfrançais aux médias ! Erreur de communication surtout :lors d'une recherche google (la première arme du journalisme aujourd'hui), les chiffres et informationsde la CE (quand ils existaient) ne sortent pas (donc n'existent pas ! ) ;
- il a fallu en fait 2 réunions de conseils des ministres, pour qu'un peu de réalisme et d'efficacité reviennent.Au dernierconseil des ministres, plusieurs ministres européens ont ainsi mis en cause, parfois vivement, l'absence de visibilité de l'effort européen et l'importance vis-à-vis de leur opinionpublique.Seul hic : si la gestion de catastrophes continue, l'actualité "Haiti" s'est peu à peu retirée des médias selon le phénomène classique de la"marée"... et le sujet intéresse moins.
Résultat : pour trouver de l'information, il fallait la chercher ailleurs dans les capitales, voire auprès de l'US Army (très bien organisée, avec briefquotidiens, photographies, vidéos disponibles).Ce type de fonctionnement me paraît assez incompréhensible. Il semble y avoir au sein des institutionseuropéennes une absence de la prise en considération de la nécessaire gestion de crise de l'information. N'importe quelle ONG un peu constituée et professionnelle paraît mieux faire en lamatière... Une bataille perdue, davantage politique qu'il n'y parait
En conclusion,l'information a manqué et la communication a raté. Etl'Europe a perdu labataille de la "visibilité". Cela peut paraître un détail au regard de l'ampleur de la catastrophe. Mais au regard de l'ambition politique de l'UE dans sa place dans le monde et la réponse decrises, c'est primordial. Etre là au moment où il faut et de façon massive est un acte, aussi, politique (2). Il ne fautpas ensuite s'étonner si l'UE a eu toutes les peines du monde à s'imposerauprès du trio USA-Canada-Brésil pour la phase de reconstruction, alors qu'elle est pourtant un acteur majeur de l'aide à Haïti. Il nefaut pas non plus s'étonner sidans les opinions publiques, et dans lapresse,l'impression a été donnée d'un effort médiocre, sous-estimé, malcoordonné...
Une occasion perdue pour Catherine Ashton
La situation est d'autant plus paradoxale que le Traité de Lisbonne avait pour objectif justement de remédier à la dispersion des efforts qui semblaientjusqu'ici la caractéristique de l'Europe. Tous les outils possibles d'une intervention étaient à disposition, de la Haute représentante et la Commission européenne: humanitaire, développement, protection civile, militaire, policier... Cela n'a pas été plus efficace (voire moins) que lorsque ces outils étaientdispersés. Une opportunité a, là, été perdue, notamment pour Catherine Ashton qui aurait pu imposer sa marque, tout de suite. Une opportunité d'autant plus facile à saisir que peu de monde aurait pu s'opposer à voir l'UE prendre la tête de cette "mission".