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2 août 2008 6 02 /08 /août /2008 19:30
NB : cet article fait partie d'une série entamée en 2007 pour tenter de cerner les responsabilités européennes
dans le drame en ex-Yougoslavie dans les années 1990.

Homme politique français. Responsable des étudiants socialistes en pleine guerre d’Algérie, chrétien de gauche, Michel Rocard rejoint le PSU, parti socialiste unifié – mouvement alternatif de gauche non-communiste - en 1960 et est son candidat aux présidentielles en 1969. Adepte de l’autogestion, il préface notamment l’ouvrage de Milojko Drulovic sur l’expérience yougoslave « L'autogestion à l'épreuve » (Ed. Fayard, 1973). Il rejoint ensuite le parti socialiste (PS), en pleine recomposition sous la férule de Mitterand, en 1974. Il est Premier ministre français de 1988 à 1991 où il règle la « crise » calédonienne. Premier secrétaire du PS en 1993-1994, il est élu député européen en 1994 et siège au Parlement européen depuis (président de la Commission développement, puis de la Commission emploi et, enfin, de la Commission « Culture » et aujourd'hui membre de la Commission Affaires Etrangères / Défense).

En 1990-1991, vous êtes Premier ministre, votre rôle dans les Balkans ? Vous savez, dans la « religion » de la France de Mitterand, les Affaires étrangères, c’était lui seul. J’étais le Ministre des affaires intérieures et… du Pacifique sud. Je me suis donc peu occupé d’affaires européennes. C’est le président qui avait la main directe sur les Balkans avec le SGCI (secrétariat général des affaires européennes) dirigé par Elisabeth Guigou.

Vous connaissiez cependant bien certains dirigeants Yougoslaves, quel était le sentiment à l'époque, votre sentiment ? On n’était ni indifférent, ni mal informé. On était inquiet. J’avais passé mes vacances en 1990 sur la cote dalmate. Et j’avais retrouvé Ante Markovic, le Premier Ministre yougoslave, un homme de paix, pour prendre un verre dans un port de la Cote. Il m’avait dit son énorme inquiétude, comment avec Milosevic ce serait difficile. Il était bien conscient que Milosevic (le serbe) et Tudjman (le croate) voulaient l’éclatement de la Yougoslavie. Il savait très bien que les forces centripètes étaient supérieures aux forces de maintien de cohésion, que sa position était fragile. Il avait raison. On a appris après coup que, lors d’une réunion secrète entre Milosevic et Tudjman, les deux secrétaires des Pc serbe et croate avaient convenu de faire éclater le cadre yougoslave et de se partager la Bosnie. Nous l’avons su, en 1995-96, quand les carottes étaient déjà cuites, et les massacres déjà commis. (...) Je ne connaissais pas à l’époque Kucan (représentant slovène à la présidence collégiale), le plus perspicace et le plus brillant (des responsables politiques yougoslaves). J’ai fait sa connaissance ensuite. Quand il a vu la Serbie ratifier le choix de Milosevic, il a tout de suite compris que çà allait barder. Et il a commencé tout de suite à renforcer la police de Slovénie.

L’absence de réaction des Européens, comment la qualifiez-vous ? Ce n’était pas un problème de sérieux ou de brouillon, il y avait tout simplement un désaccord. (…) Les Britanniques ne tenaient pas à s’en mêler. Et les Allemands tenaient à s’en mêler sans que les autres s’en occupent. C’est seulement après l’indépendance qu’ils deviennent disponibles pour une réflexion (plus avancée).

La reconnaissance des indépendances par l’Allemagne a joué un rôle négatif ? Oui. Très vite on a senti que les Allemands jouaient tout seuls. (…) La diplomatie allemande, ravie de voir ses anciens commensaux Slovène et Croate, a poussé à l’indépendance trop vite, mettant en situation de faire disparaître le cadre fédéral yougoslave.

Une erreur ? Oui. Je crois et persiste à croire que la disparition du cadre yougoslave a nui. Son éclatement nous a mis dans une situation tout à fait nouvelle et ouvert la voix à une guerre internationale. (…) On n’y pouvait rien. Quand on est sans moyen d’intervention, cela ne disqualifie pas la pensée. Mais on avait le sentiment qu’on n’en avait pas la possibilité.

Ne pouvait-on réagir tout de même ? Le diagnostic de Bernard Kouchner « décidément on n’y peut rien » est malheureusement exact. (…) La Communauté internationale ferait mieux (dans ce cas) d’expliquer son indignation mais aussi son incompétence, plutôt que de risquer des coups tordus qui foirent.

L’intervention militaire impossible ? Les Yougoslaves étaient des guerriers épouvantables, et le terrain était difficile. L’idée d’une intervention pour calmer le jeu n’était pas à la portée des Européens et de pas grand monde d’ailleurs. Il nous fallait 200 000 hommes. (…) J’ai retiré de l’Afrique ou du Pacifique – si on peut le comparer à la situation yougoslave – qu’on ne peut faire la paix que si les chefs le veulent, et sont obéis. C’était le cas dans le Pacifique. Mais pas en Yougoslavie où chacun était occupé à rogner sur le territoire de l‘autre et à faire le jeu de la force.

Au bilan ? Il y a eu un échec complet dans le fait de maintenir la paix et d’éviter le génocide. Oui. Mais aussi un succès dans le fait de limiter le conflit à l’intérieur des frontières yougoslaves.

(Entretien réalisé le 29 août 2007 en vis-à-vis)
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logo_ouestfrancefr.pngL'éditeur : Nicolas Gros-Verheyde. Journaliste, correspondant "Affaires européennes" du premier quotidien régional français Ouest-France après avoir été celui de France-Soir. Spécialiste "défense-sécurité". Quelques détails bios et sources.