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16 mars 2009 1 16 /03 /mars /2009 23:59
(publié dans Ouest-France et Europolitique, mars 2009) Le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune Javier Solana a bien voulu confier ses réflexions sur l’évolution internationale en cours, à quelques journalistes réunis pour un séminaire de formation organisé par le quotidien français Ouest-France. Impressions…

• La France a annoncé officiellement sa décision de réintégrer les commandements de l’OTAN. Son président Nicolas Sarkozy le justifie comme une avancée pour l’Europe de la Défense ? Vous partagez ce point de vue ?

Javier Solana – Oui. Cela va créer un climat de confiance entre tous les Etats membres de l’UE comme de l’OTAN. Les doutes sur un possible « agenda caché » de la France seront effacés. Je pense que cela ouvre des relations avec les Etats membres de l’Otan qui ne sont pas membres de l’Union. Cela permettra aussi d’avancer sur des dossiers de l’Europe de la défense. D’autant que, simultanément, nous avons un autre élément, positif, côté américain. Un secrétaire d’Etat américain (Hillary Clinton) qui passe 3 jours à Bruxelles, pour rencontrer tous les interlocuteurs, c’est nouveau. Tout cela crée une autre ambiance pour agir au niveau international. En Afghanistan, dans les Balkans, au Moyen-Orient, sur le changement climatique, l’énergie…. Nous sommes dans une situation de crise globale, il est fondamental de trouver une solution globale avec les Etats-Unis, la Chine, la Russie.

• S’il n’y avait qu’un point à retenir pour 2009, sur lequel vous voudriez des avancées, ce serait quoi ?

J.S. - J’aimerais bien voir la situation progresser au Moyen-Orient. Ce n’est pas facile. Il y a encore des problèmes intrapalestiniens, inter-arabes. Et côté israélien, il faut attendre la constitution du gouvernement. Mais j’ai quelque espoirs. Il y a eu cette réunion importante à Ryad, avec la Syrie, l’Égypte (le 11 mars). Et à la fin du mois, la Ligue arabe se réunit. C’est important. Pour la paix, la réconciliation israélo – arabe est primordiale. Mais une initiative arabe l’est tout autant. Au Moyen-Orient, la paix n’est pas une affaire de jours. Il faut donc persévérer, faire tous les efforts pour pousser dans cette solution.

• En Afghanistan, l’Europe est engagée avec les Américains. Que peut-elle apporter de plus ? Des forces militaires, une autre solution ?

J.S. – L’Afghanistan, c’est une grande responsabilité de chacun. Il faut agir de manière constructive. Les Américains sont réalistes. Ils savent parfaitement que les Européens ne pourront pas multiplier par deux les forces militaires que nous avons déjà envoyées sur le terrain. Mais il y a d’autres sujets sur lesquels on peut travailler, de manière plus coordonnée, pour obtenir un changement de situation plus réel. La question de la réforme de la police, la construction d’un système judiciaire, la reconstruction du pays… Voici quelques unes des tâches où l’Europe a un rôle à jouer.

• Nous ne pouvons pas rester indéfiniment. Quelle peut être la porte de sortie ?

J.S. – Nous devons nous fixer des objectifs de façon plus réaliste que de créer un Afghanistan suisse. Il faut s’en tenir à la réalité : faire de l’Afghanistan un pays stable, capable de vivre avec ses voisins, avec des éléments de démocratie suffisants. Et il faut laisser, ensuite, les Afghans, choisir la manière dont ils veulent vivre leur avenir. L’important est d’avoir cette stabilité et des élections libres. Pour cela, nous devons impliquer toute la région. Nous nous retrouvons tous, à La Haye, fin mars, pour une première réunion.

• Cette réunion de la Haye, c’est une première à tous les niveaux d’ailleurs ?

J.S. – Oui. C’est la première fois où tous les acteurs régionaux et internationaux seront là. Non seulement les pays de l’Union européenne et de l’Otan, mais tous les pays de la région : ceux d’Asie centrale, l’Inde et le Pakistan, l’Iran, la Russie et la Chine. Cette réunion fera le tour des problèmes : la sécurité, le trafic des stupéfiants, la question des frontières, du gouvernement central. Il faut se préparer pour les élections, et pour l’après-élection. Il faut inciter tous les pays qui ont des relations historiques avec l’Afghanistan vers l’avenir. Sans stabilité au Pakistan, il n’y aura pas de stabilité de l’Afghanistan.

• N’y a-t-il pas un risque d’être entraîné vers le Pakistan ?

J.S. – Il faut ajouter des pays à la solution. Pas au problème. La situation du Pakistan ne peut pas être confondue avec celle de l’Afghanistan. Le Pakistan est un État structuré. Mais pensez-vous vraiment que les problèmes entre le Pakistan et l’Inde ne soient pas aussi importants que la question des talibans ? La discussion autour de l’Afghanistan, de nature régionale, pourrait être aussi l’occasion pour l’Inde et le Pakistan de régler, ou tenter de régler, des problèmes historiques de manière constructive… Nous avons aujourd'hui deux possibilités : soit les laisser seuls, soit essayer de voir ensemble quelles sont les possibilités pour trouver une solution. Moi je ne vois qu’une solution : s’engager. Si l’Inde et le Pakistan avancent, ne serait-ce qu’un peu, ce sera une étape d’envergure pour la stabilité de la région. Si la Chine s’engage, on aura plus de possibilités d’agir. Il est là l’enjeu…

• La Russie, la Chine, vous n’arrêtez pas de dépasser les cadres des frontières…

J.S. – Oui car on a des problèmes de nature horizontale. Par exemple, sur le climat ou la crise économique – où on a besoin de la Chine ; le désarmement et les accords nucléaires – on a besoin de la Russie. Cette année 2009 sera importante pour la question des armements. Les accords Start se renouvellent d’ici la fin de l’année. Les négociations doivent commencer le plus rapidement possible. Nous devons faire tous les efforts pour faire avancer ce dossier. Les problèmes qu’on a aujourd'hui de nature globale, les solutions sont de nature globale. Un seul pays ne peut pas régler tous les problèmes du monde. Le moment où un seul pays pouvait régler les problèmes mondiaux est terminé.

• Cela implique une nouvelle ère de relations internationales ?

J.S. – Il faut changer les mentalités, mieux partager nos décisions avec les pays émergents avec lesquels jusqu’ici, il faut le reconnaître, nous avons eu des relations de moindre qualité. A la réunion du G20, début avril (à Londres), il n’y aura pas de solution possible face à la crise économique si les autres pays ne s’engagent pas. Le monde a changé de plusieurs manières. A commencer par une donnée objective : le monde occidental ne représente aujourd’hui qu’à peine un sixième de la population mondiale. Et, dans vingt ans, cette proportion sera encore moindre. Le monde va changer et il faut s’adapter.

• Autre sujet, le Soudan. En rétorsion à son inculpation par la Cour pénale internationale, le président soudanais Bechir a expulsé les ONGs du Darfour. Du coup les populations se retrouvent sans aide. Et le président renforcé. Ne va-t-on pas à l’encontre de notre objectif ? La Communauté internationale n’est-elle pas désarmée ?

J.S. - Notre position est claire, nous condamnons fermement l’expulsion des ONGs. Et nous soutenons le travail de la Cour pénale internationale (CPI). Nous (l’Union européenne) sommes un groupe de pays qui avons été à l’initiative de la CPI. Nous pensons et continuons à penser que c’est une bonne nouvelle, même si plusieurs pays, par exemple de l’autre côté de l’Atlantique, ne partagent pas cette vue. Nous devons être fiers d’avoir travaillé pour cela.  Maintenant on doit prendre les décisions de justice en tenant compte des conséquences politiques de ces décisions.

• C’est-à-dire ?

J.S. – Il faut faire en sorte que les citoyens du Soudan ne souffrent pas. Il faut parvenir à rendre compatibles le droit et la politique. On travaille en lien avec les Nations-Unies. Certaines organisations restent sur place ainsi que les agences de l’ONU.

• L’Union africaine et la Chine ont cependant demandé le report de la décision ? Cette décision va-t-elle, doit-elle être revue ?

J.S. –.C’est le Premier chef d’État en exercice à être inculpé par la Cour internationale, ce n’est pas facile, c’est logique. Mais on ne doit pas faire marche arrière. Il faut maintenir la décision de la Cour. De toute façon selon les statuts de la Cour, seule une résolution du Conseil de sécurité, à l’unanimité, peut obliger la Cour à suspendre les poursuites. Et actuellement il n’y a pas cette unanimité…. En même temps, il est difficile de la faire exécuter par la force. Il faut donc maintenir la pression. Le président de l’Union africaine se rend à Khartoum pour faire toute la pression africaine. L’Égypte et l’Arabie saoudite, pays très importants, vont aussi agir.

• Revenons à nos « petites » affaires européennes. Le Traité de Lisbonne n’est toujours pas ratifié ? Et cependant l’Europe avance ? En quoi ce nouveau Traité changera-t-il vraiment la donne ? Est-il toujours aussi nécessaire ?

J.S. – Bien sûr. Si on avait attendu le Traité de Lisbonne, on n’aurait rien fait. Mais avec le Traité de Lisbonne, on serait dans une situation bien plus avantageuse. Pour la politique étrangère, ce nouveau Traité apporte deux avancées essentielles : une présidence stable du conseil des Ministres des Affaires étrangères et un service commun d’Action extérieure. Entre hier et demain, c’est le jour et la nuit. Imaginez un responsable politique américain ou russe qui doive changer d’interlocuteur tous les six mois. Combien d’interlocuteurs européens aura eu George W. Bush dans ces huit années de pouvoir ? Avec ce Traité, l’UE sera plus crédible et mieux représentée sur le plan extérieur. C’est pour cela que je dis : ratifiez, ratifiez….

• Avez-vous bon espoir pour ce référendum irlandais auquel chacun est suspendu ?

J.S. – Oui. Selon toute probabilité, le référendum en Irlande pourrait avoir lieu en octobre, à la mi-octobre. Et j’ai confiance dans les Irlandais. Si tout va bien, nous pourrions donc compter sur une entrée en vigueur au 1er janvier 2010.

• Vous êtes un optimiste par nature ?

J.S. – Je suis réaliste. C’est la vie.

 

BIOGRAPHIE

Né le 14 juillet 1942, le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune Javier Solana de Madariaga est issu d’une famille espagnole bien connue. L’alchimie politique, diplomatique et européenne, il y a en quelque sorte baigné tout petit. Son grand-oncle Salvador de Madariaga a été le chef de la section désarmement de la Société des Nations, et est ensuite ambassadeur en France et aux Etats-Unis. Opposant au régime franquiste, il prend la voie de l’exil vers Londres en 1936. En 1947 il participe au manifeste d’Oxford sur le libéralisme et est un des fondateurs du Collège d’Europe de Bruges. Le frère aîné de Javier Solana est aussi opposé au régime franquiste et sera emprisonné pour ses activités politiques.

A 22 ans, en 1964, Javier rejoint aussi clandestinement le parti socialiste espagnol, qui est alors illégal. Comme son père, chimiste, il suit la voie scientifique avec un diplômé de physicien et des études en Espagne, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Mais il reste engagé : outre-Atlantique, il est notamment président de l’association des étudiants étrangers et participe aux protestations contre la guerre au Vietnam. En 1976, il est  nommé secrétaire fédéral du nouveau parti socialiste. Il siège comme député de Madrid de 1977 à décembre 1995.

Proche de Felipe Gonzalez, Javier Solana rejoint naturellement son cabinet après la victoire historique du PSOE en 1982. Il y restera près de 13 ans, un record de longévité. Ministre de la Culture, puis Ministre de l’Education en 1988, il devient Ministre des Affaires étrangères en 1992. En 1995, l’Espagne préside l’Union européenne. Et Solana porte sur les fonts baptismaux le processus de Barcelone, dont l’objectif est de mieux arrimer et associer les Etats méditerranéens à l’Europe. En décembre 1995, il est nommé secrétaire général de l’OTAN, en remplacement du belge Willy Claes. Evolution logique pour l’homme comme pour le parti dont il reste membre. D’opposant à l’OTAN, l’un comme l’autre sont devenus de chauds partisans d’un atlantisme « raisonnable ».

A la tête de l’OTAN, Solana doit d’abord mettre en application le plan de paix de « Dayton » en Bosnie-Herzégovine avec le déploiement d’une force (IFOR) de 60 000 hommes dans l’ancienne république yougoslave déchirée par plusieurs années de guerre. Mission transformée ensuite en mission de stabilisation (SFOR) conservant plus de 30 000 hommes sur le terrain. Sous son impulsion, l’OTAN affine sa stratégie, intègre ses membres – la France, partiellement, l’Espagne, totalement, rejoignent la structure militaire — négocie des accords, particulièrement avec l’ancien ennemi russe — c’est la naissance du Conseil Otan-Russie. En 1999, l’OTAN intervient à nouveau militairement dans les Balkans, cette fois directement en Serbie pour stopper l’intervention des forces de police et de l’armée au Kosovo. Intervention couronnée de succès militairement et politiquement (avec un petit coup de pouce russe qui délaisse son allié serbe). La province serbe à majorité albanaise sera ensuite placée sous administration internationale, la sécurité étant assurée par l’OTAN (KFOR).

Entre-temps, Solana est passé à d’autres horizons toujours à Bruxelles mais à l’Union européenne. Les Quinze sont tombés d’accord, au Sommet de Cologne, en juillet 1999, pour nommer le socialiste espagnol à une nouvelle fonction créée par le Traité d’Amsterdam, celle de diplomate en chef de l’UE. Fonction qu’il étrenne le 18 octobre 1999. Le traité de Nice ajoute une autre casquette, celle de secrétaire général du Conseil. Ce qui permet à Solana de disposer des moyens administratifs et financiers pour les ambitions tracées par les chefs d’État et de gouvernement européens. Sa discrétion plait. Il est renouvelé en juillet 2004 pour un deuxième mandat de 5 ans. Durant ces années, il est notamment impliqué dans la recherche d’une solution au Proche-Orient et dans le dialogue entamé avec l’Iran par plusieurs pays (France, Allemagne, Royaume-Uni, Russie, Etats-Unis). Une vingtaine d’opérations civiles et militaires sont déployées sur trois continents au titre de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Et l’Union européenne est apparue peu à peu comme un acteur « sérieux » pour les missions de « bons offices ». La dernière en date, importante symboliquement et politiquement, étant le conflit armé du mois d’août 2008 entre la Géorgie et la Russie. Son mandat se termine le 31 octobre 2009. Mais il ne portera pas le titre de Ministre des affaires étrangères de l’UE, créé par la Constitution européenne, et dont il avait rêvé...

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logo_ouestfrancefr.pngL'éditeur : Nicolas Gros-Verheyde. Journaliste, correspondant "Affaires européennes" du premier quotidien régional français Ouest-France après avoir été celui de France-Soir. Spécialiste "défense-sécurité". Quelques détails bios et sources.