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2 décembre 2008 2 02 /12 /décembre /2008 07:27

Jacques de Maio est  le responsable au Comité international de la Croix-Rouge pour la région Afghanistan – Pakistan – Inde et Népal. Il était de passage à Bruxelles récemment. Et, naturellement, la conversation que nous avons eu une bonne heure durant a roulé sur la situation en Afghanistan et au Pakistan voisin. Un témoignage à rapprocher de celui de Vendrell, l'ancien représentant spécial de l'UE dans la région. Edifiant...

Comment qualifiez-vous ce qui se passe en Afghanistan.
Il faut être clair, c’est une guerre. Plus précisément un « conflit armé interne avec une dimension internationale ». On a du mal à comprendre cela dans certaines capitales. Mais c’est la réalité. Nous avons d’un côté un gouvernement, soutenu par une coalition internationale, face à des mouvements d’opposition armés. Que l’on dise qu’on est dans une opération internationale visant à la sécurité, à la reconstruction du pays, c’est une qualification politique, valable pour la presse, les électeurs. Pour le CICR, cela ne doit pas masquer la réalité de la guerre.


Comment en avez-vous la preuve ?
Nous sommes la seule organisation à être déployée dans des régions où aucun acteur international humanitaire n’est présent, et à avoir un dialogue avec l’opposition armée. Et ce que nous voyons, c’est la guerre. Plus que la reconstruction, avec des projets qui ont pour objectif affiché de gagner les « cœurs et les esprits », et donc de favoriser l'établissement du gouvernement dans tout le pays.


Vous parlez d’opposition armée ?
Oui. On voit clairement cette opposition comme une partie au conflit. Il est clair qu’elle ne répond pas aux standards du mouvement rebelle classique, en uniforme, qui administre une partie du territoire. Mais elle est suffisamment structurée pour qu’on ait un dialogue avec elle, sur la façon dont elle conduit le conflit, et sur l'espace humanitaire. L’opposition ne se résume cependant pas aux Talibans. C’est une nébuleuse complexe, avec des mouvances locales et internationales.


Vous semblez assez négatifs sur les missions de reconstruction menées par la coalition. Elle sont utiles, cependant, pour la population ?
Il ne s'agit pas d'être positif ou négatif, mais simplement de distinguer les choses: les opérations menées dans le cadre des Cimic ou équipes provinciales de reconstruction (PRT) découlent d'une logique politico-militaire. S'il n’y a pas de doute que certaines – pas toutes - représentent un impact pertinent, social, économique, médical et humanitaire suivant les cas, elles ne peuvent se prévaloir d'une mission "humanitaire".

En effet, pour le CICR, une action humanitaire c’est une évaluation indépendante des besoins, et une réponse impartiale aux besoins constatés. Les objectifs et modalités de mise en œuvre des PRTs les rendent inacceptable pour l’opposition, qui les interprète comme l’imposition déguisée d’un modèle de société qu'ils rejettent.

Il est essentiel de préserver une distinction claire entre l'humanitaire et le politico-militaire, puisque la confusion des genres se traduit par un rejet – de plus en plus meurtrier – de l'action humanitaire réelle sur le terrain, perçue comme le fer-de-lance, ou l'outil, d'une stratégie globale de leurs ennemis.


Comment le CICR continue à être présent dans ces zones où les autres organisations sont absentes ?
Nous avons tissé avec les groupes et les communautés, depuis 20 ans que nous sommes présents dans la région, une relation historique. Beaucoup de gens qui travaillent avec les Talibans ou, sous son ombrelle, avaient déjà pris les armes, il y a vingt ans, contre le gouvernement alors soutenu par l'URSS. Et ils étaient les bienvenus dans les capitales occidentales. J’étais là-bas comme jeune délégué. Et je retrouve des gens qui tiennent le même discours.


Que disent-ils ?
Beaucoup d'Afghans refusent ce modèle de société qui leur est apporté ou imposé. Pour eux, il n’y a pas grande différence entre leur lutte d'il y a 20 ans, contre un gouvernement central soutenu par des puissances externes, qui impose un modèle de société, et aujourd'hui. Leur discours est le même: «nous refusons d'être soumis". Ce n’est évidemment pas représentatif du peuple afghan en totalité, puisque nombreux sont ceux qui soutiennent le gouvernement de Kaboul et acceptent les troupes étrangères. Mais ce sentiment est très fort dans l’opposition et au sein d'une bonne partie de la population à l’Est et au Sud du pays.


Le mouvement gagne-t-il ?
Le CICR n'est pas compétent – dans tous les sens du terme – pour se prononcer sur "qui gagne la guerre". En revanche, on perçoit un durcissement du conflit. De part et d'autre, on peut aussi dire qu'on gagne du "terrain" dans certaines régions ou domaines stratégiques.


Les violations du droit international humanitaire semblent courantes en Afghanistan. Ce droit est-il respecté par les rebelles ?
Le CICR détecte et documente les violations du droit et intervient auprès des autorités responsables, quelles qu'elles soient et où qu'elles se trouvent, de manière strictement confidentielle, afin de prévenir des dégâts humains. Pour ce qui est de l'opposition armée, il faut bien voir que nous avons affaire à un mouvement qui a un référentiel doctrinal qui puise ses sources dans l’Islam et les traditions locales. Le droit international n'est pas sa référence immédiate, mais son contenu - le droit de la guerre – est valable et leur parle: le fait de tuer un non-combattant (civil, blessé, prisonnier) est généralement proscrit par l’Islam et par les codes d'honneur. Mais comment définir et distinguer le non-combattant du participant actif aux hostilités? A partir de quel moment, dans quelles circonstances la mort d’un non-combattant est-elle acceptable? Qu'est-ce que la torture? Ce sont là des questions de fond pour tout le monde.


Les bombardements de civils constituent cependant une violation du DIH ?
Oui. Les bombardements de civils sont prohibés par la convention de Genève. Mais un civil mort sous les bombes ne résulte pas automatiquement d'une violation du droit international humanitaire. De même, l'intervention réponse militaire pour « extraire » une patrouille coincée dans une embuscade et annihiler l’opposition n’est évidemment pas en soi une violation du droit international. C’est une analyse, au cas par cas, et les commandants d’opération doivent trouver le bon équilibre entre impératif militaire et obligation humanitaire. En clair, atteindre leur objectif de combat tout en assurant la protection des civils, le respect des principes de précaution, distinction et proportionnalité. La première obligation de chacun des belligérants est de se distinguer des civils, de ne pas les exposer à des attaques. Cela peut viser l’opposition armée lorsqu'elle se fond dans la population, comme les forces de la coalition quand elles établissent un poste avancé à proximité d'une zone habitée.


Et les prisonniers de guerre, ou les détenus à Bagram ?
On ne peut pas parler de prisonniers de guerre. Car ce n’est pas un conflit international. Mais il y a plusieurs milliers de prisonniers dont plusieurs centaines aux mains de la coalition, ou des Américains. Il y a de tout : du criminel de droit commun au militant Taleban. Il y a aussi les « internés», comme à Bagram, détenus sans chef d'inculpation. Cela n'est pas automatiquement une violation du DIH. Il est prévu dans le cadre d'un conflit armé, pour des raisons impératives de sécurité. Mais le traitement de ces internés doit obéir à certaines règles, qui font l'objet d'évaluations sur place par le CICR et de discussions avec les autorités.


La troisième de votre priorité est l’accès aux soins, est-il assuré ?
Non. Il y a un gros problème d’accès aux soins, et de santé en général. S'il y a des indicateurs positifs sur une grande partie territoire, grâce à l’effort national et international, la population dans le sud et l’est, dans certaines zones rurales tendues reste très isolée et vulnérable. Les taux de mortalité enfantine, ou lors des accouchements, par exemple, restent extraordinairement élevés. Si en plus vous êtes un membre de l’opposition blessé – ou suspecté tel -, vous avez encore moins de chances d’avoir accès à des soins.


Vous êtes pessimiste alors ?
Je ne me permettrais pas. Mais ce conflit n’est pas près de se terminer. D’autant que ce conflit n’est pas isolé…


Le Pakistan voisin ?
Oui. Ce qui se passe dans les provinces frontalières du nord-ouest (NWFP) et les zones tribales est grave, et les dégâts humanitaires importants. Là aussi, c’est un conflit armé non international, qui est le résultat à la fois d’une dynamique locale de conflit et des liens avec l’Afghanistan (NB : la frontière est poreuse et fluide). L’insécurité est tout à fait comparable à ce qui se passe en Afghanistan. Et la réponse humanitaire est loin d'être suffisante. Nous sommes très peu déployés dans ces zones, mais les autres acteurs humanitaires ne le sont pas du tout. Le Pakistan est un sujet à la fois spécifique et indissociable de la problématique afghane. 2008 a été une année difficile, d’un point de vue économique, politique mais aussi avec la dégradation de la sécurité. 2009 s’annonce très inquiétante, avec très peu de monde qui peut aller sur place, constater, voir et agir.


Alors…
On a envie de dire : intéressez vous à cette question (de l’Afghanistan, du Pakistan), il y a des besoins...


NB: Les quatre missions du CICR en Afghanistan
1° Diffusion du droit internationale humanitaire
2° Protection des détenus
3° Aide médicale
4° Intermédiaire neutre pour les déplaces, prises d’otage.

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logo_ouestfrancefr.pngL'éditeur : Nicolas Gros-Verheyde. Journaliste, correspondant "Affaires européennes" du premier quotidien régional français Ouest-France après avoir été celui de France-Soir. Spécialiste "défense-sécurité". Quelques détails bios et sources.